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Turquie à double visage
Les médias occidentaux s'interrogent ces temps-ci sur le «double-jeu» de la Turquie en Syrie. La Turquie est, après les États-Unis, la deuxième puissance militaire de l'OTAN (organisation transatlantique dont les frontières se rapprochent de celles de la Russie au grand dam du Kremlin). À ce titre, la Turquie a reçu le soutien américain dans son différend avec la Russie, après l'attaque par l'aviation turque d'un bombardier russe en route pour frapper Daesh en Syrie. Rappelons que le président russe Vladimir Poutine, pour sa part, a clairement qualifié la Turquie du parti AKP au pouvoir d'être les complices des terroristes.
Deux journalistes turcs sont en prison, aux motifs d'espionnage et divulgation de secrets d'État, après avoir révélé des livraisons par la Turquie d'armes aux rebelles radicaux en Syrie. En juillet 2009, des émeutes raciales avaient fait 182 morts parmi les Ouïghours, minorité éthnique musulmane turcophone de la province chinoise du Xinjiang. Il semblerait que, les Ouïghours passés en Turquie serviraient au projet «Grand Turc» de Recep Erdogan en allant coloniser la province syrienne de l'Idlib. Comme la Russie de Vladimir Poutine s'inscrit dans la continuité de la Tsarine Catherine II en protégeant les chrétiens d'Orient, la Turquie de Recep Erdogan, reprenant l'héritage de l'empire ottoman, veille sur les Tatars musulmans de Crimée, les musulmans des Balkans, les Ouïghours de Chine.
Le 29 novembre 2015, l'Union européenne et la Turquie se mettaient d'accord sur le coût financier (3 milliards d'euros) et la contre-partie politique (relance des pourparlers pour l'adhésion de la Turquie à l'UE) contre le contrôle par la Turquie du flot de «migrants» en provenance du Moyen-Orient. La Turquie est officiellement candidate à l'adhésion à l'Europe depuis 1999, mais les négociations étaient dans l'impasse à partir de 1999. Les chrétiens d'Europe doivent appréhender l'association avec un pays de 70 millions musulmans, pour de fragments chrétiens (catholiques, orthodoxes, protestants) de ce qui reste après le génocide des Arméniens au début du XXème siècle. Si la Turquie est d'Europe, c'était le cardinal Ratzinger, devenu Pape Benoît XVI, gardien catholique du temple, qui décrétait : « Historiquement et culturellement, la Turquie partage très peu avec l'Europe. Il vaudrait mieux que la Turquie serve de pont entre l'Europe et le monde arabe (…) L'Europe n'est pas un concept géographique mais culturel fondé sur la foi chrétienne. C'est un fait que l'Empire ottoman a toujours été en opposition à l'Europe. Bien que Kemal Atatürk ait bâti une Turquie laïque dans les années 20, elle reste le noyau de l'ancien Empire ottoman. Elle est donc très différente de l'Europe, qui est aussi un ensemble d'États laïcs, mais avec des bases chrétiennes» (discours aux responsables de la pastorale du diocèse de Velletri, le 18 septembre 2004). Et si, s'agissant de la Turquie d'aujourd'hui, il fallait définitivement parler de «double visage» ? Comment, sinon, expliquer que, 2013, au mois de juin, deux millions de manifestations étaient descendus dans la rue de 80 villes pour transformer le rejet du projet d'aménagement de la place Taksim en fronde anti-gouvernementale, mais que le 8 octobre, le Premier Ministre Recip Tayyip Erdogan se sente suffisamment fort pour abolir une disposition prise en 1982, qui interdisait le port du voile islamique aux femmes, et de la barbe aux hommes, dans l'Administration ? Que, 2007, au mois de mai, des milliers de manifestants protestaient pour la défense de la laïcité, en brandissant côte-à-côte le drapeau turc et le portrait de Kemal Atatürk, le fondateur, en 1923, de la Turquie moderne et laïque, mais que, au mois de juillet, l'AKP, issu de la mouvance islamiste, obtienne un nouveau mandat législatif ? Que, en 2004, l'Union Européenne s'inquiète du projet AKP de criminalisation de l'adultère, mais que, en 2005, débutent les pourparlers pour l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne ?
Recep Erdogan, élu Maire de la Capitale Istanbul en 1994, est arrivé au pouvoir national en mars 2003, au poste de Premier Ministre. Il avait fallu au Parlement modifier la Constitution pour lui permettre de briguer ce poste parce qu'il avait été inéligible aux législatives du 3 novembre 2002 suite à sa condamnation à quatre mois de prison, en 1998, pour avoir lu lors d'un rassemblement public un poème islamiste. À sa sortie de prison, il s'était affirmé «musulman-démocrate» à la manière des hommes et femmes politiques «chrétiens-démocrates», en Allemagne, par exemple. Les médias occidentaux le qualifient ces temps-ci plutôt de «musulman conservateur».
Interdire l'alcool dans les cafés fut parmi les premières mesures que prit Recip Erdogan à la tête de la Mairie d'Istanbul. Et, en février 2008, son gouvernement AKP avait creusé une première brèche dans le paquet de mesures imposées par l'armée, dans la foulée du putsch de 1980, en autorisant le port du voile islamique dans les universités.
Lequel de ces deux visages est la «Turquie d'aujourd'hui» : celui d'Abdurrahman Yalcinkaya, procureur de la Cour de Cassation (de 2007 à 2011) qui, le 14 mars 2008, avait demandé la dissolution du parti AKP au pouvoir pour «activités allant à l'encontre de la laïcité», ou celui de Recep Erdogan, récitant les vers de Ziya Gölkap : «Les mosquées sont nos casernes, les minarets nos baïonnettes, les dômes nos casques, les croyants nos soldats» ?
Jtk
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