Syrie : l'extraordinaire témoignage du père Jacques Mourad, ex-otage du groupe État islamique
Ce prêtre avait été enlevé par trois personnes masquées, jeudi 21 mai, en début d'après-midi, dans son Monastère de Mar Elian à Qaryatayn, alors qu'il travaillait à l'organisation de l'accueil prévisible d'un afflux de réfugiés de Palmyre.
le Père Ziad Hilal, jésuite de Homs, raconte les circonstances dans lesquelles s'était déroulé l'enlèvement de Père Mourad:
« Après la chute de Palmyre, beaucoup de civils se sont dirigés vers Qaryatayn, petite ville à 30 km de Homs, et surtout le monastère de Mar Elian où le Père Jacques Mourad avait commencé à organiser l'accueil des familles déplacées. C'est à ce moment-là que 3 hommes masqués l'ont kidnappé ainsi qu'un chrétien âgé de 37 ans originaire d'Alep, Boutros. Ils ont été emmenés vers un lieu inconnu dans sa propre voiture et nous sommes sans nouvelle, ce qui est très inquiétant pour la communauté chrétienne. »
Travaillant en collaboration avec le Père Jacques Mourad, ils étaient encore en contact quelques heures plus tôt.
« Alors que je lui proposais de quitter un moment Qaryatyan avec l'approche de DAECH, il m'a répondu « comme prêtre et pasteur je ne quitterai jamais le lieu tant qu'il y a des gens, sauf si on me chasse ».
Membre de la communauté Al Khalil, le Père Jacques Mourad, prêtre de l'Église syriaque catholique du diocèse de Homs et supérieur du Monastère Mar Elian, avait succédé à la tête du Monastère de Mar Moussa, au Père Paolo Dall'Oglio, dont nous sommes sans nouvelles depuis deux ans.
« J'ai été sauvé grâce à l'aide humanitaire que nous donnons aux musulmans et aux chrétiens . Je remercie en particulier l'Œuvre d'Orient pour son aide qui n'a jamais cessé depuis le début »
En charge du monastère de Mar Élian et des fidèles du village de Qaryatayn, non loin de Palmyre, le P. Mourad a été enlevé par les hommes du groupe État islamique le 21 mai 2015.
Il est resté en captivité durant 4 mois et 20 jours, avant de pouvoir rejoindre, le 10 octobre, ce qu'on peut appeler « le monde libre ».
Harcelé, menacé, pressé de se convertir à l'islam, il a été menacé de décapitation à plusieurs reprises, fouetté une fois et soumis, le lendemain, à un simulacre d'exécution.
Confiné à une salle de bains éclairée seulement par une lucarne haut placée, avec un séminariste qui l'assistait, réduit à un régime fait de riz et d'eau, deux fois par jour, sans électricité ni montre, complètement coupé du monde extérieur, il a quand même réussi à rester vigilant et n'a jamais vu sa foi fléchir.
Au contraire.
La grâce, ou encore le miracle dont parle le P. Mourad, c'est d'être resté en vie, de n'avoir pas renié sa foi, d'avoir retrouvé la liberté.
« La première semaine a été la plus difficile. Après avoir été détenu quelques jours dans une voiture, le dimanche de Pentecôte, on m'emmène à Raqqa. J'ai vécu ces premiers jours de captivité partagé entre la peur, la colère et la honte. »
Le grand tournant de sa captivité est associé, par le P. Jacques, avec l'entrée dans sa cellule, au huitième jour, d'un homme en noir, le visage masqué, comme ceux qui apparaissent dans les vidéos d'exécution de Daech.
Mon heure est venue, se dit-il, effrayé. Mais, au contraire, après lui avoir demandé quel était son nom et celui de son compagnon de captivité, l'homme lui adresse un « assalam aleïkoun » de paix et pénètre dans sa cellule.
S'engage ensuite un assez long entretien, comme si l'inconnu cherchait réellement à mieux connaître les deux hommes en face de lui.
« Prends-le comme une retraite spirituelle », lui répond-il, quand le P. Jacques l'interroge sur les raisons de sa captivité.
« Dès lors, ma prière, mes journées prirent du sens, résume le prêtre syrien. Comment vous expliquer ? J'ai senti qu'à travers lui, c'était le Seigneur qui m'adressait cette parole. Ce moment fut d'un grand réconfort. »
« Grâce à la prière, j'ai pu regagner ma paix ... On était en mai, le mois de Marie. Nous nous sommes mis à réciter le chapelet, que je ne priais pas beaucoup auparavant. Toute ma relation avec la Vierge en a été renouvelée.
La prière de sainte Thérèse d'Avila « Que rien ne te trouble, que rien ne t'effraie… » m'a également soutenu, pour laquelle, une nuit, j'ai fait une mélodie que je me suis mis à fredonner.
La prière de Charles de Foucauld m'a aidé à m'abandonner entre les mains du Seigneur, avec la conscience que je n'avais pas le choix.
Car tout laissait croire que c'était ou la conversion à l'islam, ou la décapitation. Presque chaque jour, on pénétrait dans ma cellule et on m'interrogeait sur ma foi. J'ai vécu chaque jour comme s'il était le dernier. Mais je n'ai pas fléchi. Dieu m'a donné deux choses, le silence et l'amabilité.
Je savais que certaines réponses pouvaient les provoquer, que n'importe quel mot peut vous condamner.
Ainsi, on m'a interrogé sur la présence de vin au couvent. L'homme m'a coupé la parole quand j'ai commencé à répondre. Il a jugé mes paroles insupportables. J'étais un « infidèle ».
Grâce à la prière, aux psaumes, je suis entré dans une paix qui ne m'a plus quitté. Je me souvenais aussi des paroles du Christ dans l'évangile de saint Matthieu : « Bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous persécutent. » J'étais joyeux de pouvoir vivre concrètement cette parole. Ce n'est pas une petite chose que de pouvoir vivre l'Évangile, en particulier ces versets difficiles, qui étaient théoriques auparavant. Je me suis mis à ressentir de la compassion pour mes ravisseurs. »
« À l'occasion, des chansons poétiques de Feyrouz me revenaient aussi, et en particulier l'une d'elles qui parlait du crépuscule, que je chantais quand les longues nuits de juin tombaient sur Raqqa et que nous étions laissés dans le noir. Même ces paroles et leur musique devenaient prière. Elles parlaient de la souffrance « inscrite dans le crépuscule ». »
Puis un jour, le père Jacques Mourad est flagellé…
« C'était le 23e jour de ma captivité, Ils sont entrés soudain. C'était une sorte de mise en scène. La flagellation a duré quelque trente minutes. Le fouet était fait d'un bout de tuyau d'arrosage et de cordes. J'ai eu mal, physiquement, mais en profondeur, j'étais en paix. J'étais dans une grande consolation de savoir que je partageais quelque chose de la souffrance du Christ.
J'en étais aussi extrêmement confus, m'en sentant indigne.
Je pardonnais à mon bourreau alors même qu'il me fouettait. De temps en temps, je réconfortais d'un sourire le diacre Boutros, mon compagnon de captivité, qui se contenait difficilement de me voir fouetter de la sorte.
Par la suite, je me suis rappelé le verset où le Seigneur dit que c'est dans notre faiblesse que sa force se manifeste. J'en étais continuellement étonné, car je me savais faible, spirituellement et physiquement. Voyez-vous, je souffre d'un mal de dos depuis mon enfance et les conditions de détention étaient telles que ce mal devait en principe augmenter. Au monastère, j'avais un matelas spécial, une chaise ergonomique. En prison, je dormais par terre, et aucun moyen de faire de la marche dans ces toilettes. »
« La grande peur, je l'ai connue peu après, quand un homme armé d'un poignard est entré dans notre cellule. J'ai alors senti sur mon cou le fil du couteau et j'ai eu le sentiment que le compte à rebours pour mon simulacre d'exécution avait commencé. Dans ma frayeur, je me suis recommandé à la miséricorde de Dieu. Mais ce ne fut qu'un éprouvant simulacre. »
Le 4 août, le groupe jihadiste prend le contrôle de Palmyre et, par là même, de Qaryatayn. Le lendemain, à l'aube, il prend en otage la population, quelque 250 personnes, qui sont conduites à Palmyre. Le 11 août, le P. Jacques et son compagnon en prennent eux-mêmes le chemin.
Voici comment :
« Un cheikh saoudien est entré dans notre cellule.
- « Tu es Baba Jacques ? fait-il, allez, viens ! Les chrétiens de Qaryatayn nous ont cassé la tête en nous parlant de toi ! »
J'ai pensé que j'étais emmené pour exécution. À bord d'un van, nous avons roulé quatre heures durant. Passé Palmyre, nous nous sommes engagés sur un chemin de montagne conduisant à un bâtiment fermé par une grande porte en fer.
Elle s'ouvre, et qu'est-ce que je vois ?
La population de Qaryatayn tout entière, stupéfaite de me voir. Ce fut un moment d'indicible souffrance pour moi. Pour eux, un extraordinaire moment de joie.
Vingt jours plus tard, le 1er septembre, nous sommes ramenés à Qaryatayn, libres, mais avec interdiction de quitter le village.
Un contrat religieux collectif est signé : nous étions désormais sous leur protection (« ahl zemmé »), moyennant le paiement d'une taxe spéciale (« jezyé ») de laquelle s'acquittent les non-musulmans.
Nous pouvions même pratiquer nos rites, à condition que cela ne scandalise pas des musulmans. Quelques jours plus tard, au décès de l'une de mes paroissiennes, morte d'un cancer, nous nous rendons au cimetière, proche du couvent de Mar Élian. Ce n'est qu'alors que je constate qu'il a été rasé. Curieusement, je n'ai pas réagi. Intérieurement, il m'a semblé comprendre que mar Élian avait sacrifié son couvent et sa tombe pour nous sauver. »
« Aujourd'hui, conclut le P. Jacques – qui a bravé l'interdiction de quitter Qaryatayn et a trouvé un moyen de s'enfuir, sur lequel il reste discret –, je continue d'éprouver pour mes ravisseurs le même sentiment que j'ai eu pour eux quand j'étais leur prisonnier: la compassion. Ce sentiment vient de ma contemplation du regard que Dieu porte sur eux, malgré leur violence, comme Il le porte sur tout homme : un regard de pure miséricorde, sans le moindre désir de vengeance. »
« Aujourd'hui, je sais que la prière est la voie du salut.»
Il faut continuer à prier pour les évêques et prêtres qui sont encore disparus, et dont on ne sait rien.
Prier pour mon frère le père Paolo Dall'Oglio (disparu à Raqqa en juillet 2013). Il nous faut prier aussi pour une solution politique en Syrie.
Nous commémorons en ce moment le centenaire des massacres et exodes de 1915. Sans solution politique, l'émigration achèvera le travail que les massacres de 1915 ont commencé. »
« Je remercie toutes les associations humanitaires et en particulier l'Œuvre d'Orient pour son aide qui n'a jamais cessé depuis le début » . « Je prie pour vous et vous demande de prier pour moi et les autres chrétiens ».
Dès qu'il pourra venir en France, le Père Jacques a fait le vœu d'aller en pèlerinage à Lourdes et prier à Notre Dame.
" Un contrat religieux collectif est signé : nous étions désormais sous leur protection (« ahl zemmé »), moyennant le paiement d'une taxe spéciale (« jezyé ») de laquelle s'acquittent les non-musulmans " :
Dans le droit fil de comment les divers Califats successifs, administraient, entre l'an 630 et 1360 environ, les territoires et les populations non-musulmanes qu'ils avaient, dans un premier temps, conquises par la force, cette politique contractuelle - dont rend compte assez bien, et c'est assez surprenant, le Père Mourad - qui faisait que moyennant le paiement d'un impôt spécifique, la communautés soumise au pouvoir politique du Calife vaquait, à peu-près, librement à ses occupations jusqu'à pratiquer sa propre religion dans les limites acceptables et tant qu'elle ne présentait pas de caractère offensant au culte musulman.
L'ISLAMISME EST-IL UN NOUVEAU TOTALITARISME ?
par Bernard Bruneteau
L'interprétation de l'islamisme comme « troisième totalitarisme » appartient sans conteste à la tradition de l'anti-totalitarisme libéral. Se prêtant aisément à une instrumentalisation politique, elle ne manque pas de prêter le flanc à la critique pour le caractère anachronique des convergences repérées entre les deux phénomènes.
Il est pourtant nécessaire de rappeler que communisme et nazisme ont été des religions politiques prospérant aussi à partir d'une promesse de salut en offrant une gnose, une définition du Mal et un horizon communautaire fraternel.
Et que la pensée matricielle de l'islamisme s'est développée dans le même contexte d'anomie que les mouvements totalitaires européens, les uns et les autres réagissant de manière similaire par la promotion d'un ordre alternatif à la modernité occidentale.
revue Commentaire
Jtk
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Bienvenu