vendredi 29 janvier 2016

إعلان مراكش لحقوق الأقليات الدينية يدعو للتعايش والتصدي للتطرف | أخبار الشرق الأوسط | Reuters

إعلان مراكش لحقوق الأقليات الدينية يدعو للتعايش والتصدي للتطرف | أخبار الشرق الأوسط | Reuters

"إعلان مراكش" لحقوق الأقليات الدينية يدعو للتعايش والتصدي للتطرف

من زكية عبد النبي

مراكش (رويترز) - دعا رجال الدين والشخصيات السياسية المشاركين في مؤتمر (حقوق الأقليات الدينية في العالم الإسلامي) بمراكش يوم الأربعاء إلى إعمال مبدأ المواطنة لاستيعاب مختلف الانتماءات في العالم الاسلامي وكذلك دعم المبادرات الهادفة إلى توطيد أواصر التفاهم والتعايش بين مختلف الطوائف الدينية.

جاء ذلك في "إعلان مراكش" الذي صدر عقب انتهاء أعمال المؤتمر الذي عقد على مدى يومين وشارك فيه أكثر من 300 من أهل الفتوى والعلماء والسياسيين والباحثين وممثلي الأديان في العالم الإسلامي وخارجه وممثلي هيئات ومنظمات إسلامية ودولية.

وقال الإعلان إن على "علماء ومفكري المسلمين أن ينظروا لتأصيل مبدأ المواطنة الذي يستوعب مختلف الانتماءات بالفهم الصحيح والتقويم السليم للموروث الفقهي والممارسات التاريخية وباستيعاب المتغيرات التي حدثت في العالم."

كما طالب المؤسسات العلمية والمرجعيات الدينية بالقيام بمراجعات شجاعة ومسؤولة للمناهج الدراسية للتصدي للأفكار "التي تولد التطرف والعدوانية وتغذي الحروب والفتن وتمزق وحدة المجتمعات".

وشارك في المؤتمر- الذي نظمته وزارة الأوقاف والشؤون الإسلامية المغربية بالتعاون مع "منتدى تعزيز السلم في المجتمعات المسلمة" وبرعاية العاهل المغربي الملك محمد السادس- عدد من وزراء الاوقاف والشؤون الاسلامية في العالم الاسلامي وعدد من المفتيين ورجال الدين على اختلاف مذاهبهم وكذلك ممثلي عدد من الأقليات الدينية في العالم الاسلامي حيث ناقشوا مواضيع تتعلق بالتسامح والتطرف والإطار الشرعي لتعايش الأقليات فيما بينها.

ودعا "إعلان مراكش" إلى اتخاذ التدابير السياسية والقانونية اللازمة من أجل "دعم الصيغ والمبادرات الهادفة إلى توطيد أواصر التفاهم والتعايش بين الطوائف الدينية في الديار الإسلامية."

من جهة أخرى حث الإعلان أيضا "المثقفين والمبدعين وهيآت المجتمع المدني على تأسيس تيار مجتمعي عريض لإنصاف الأقليات الدينية في المجتمعات المسلمة ونشر الوعي بحقوقها وتهيئة التربة الفكرية والثقافية والتربوية والإعلامية الحاضنة لهذا التيار."

وناشد الإعلان "مختلف الطوائف الدينية التي يجمعها نسيج وطني واحد معالجة صدمات الذاكرة الناشئة من التركيز على وقائع انتقائية متبادلة ونسيان قرون من العيش المشترك على أرض واحدة وإعادة بناء الماضي بإحياء تراث العيش المشترك ومد جسور الثقة بعيدا عن الجور والإقصاء والعنف."  



JTK

jeudi 28 janvier 2016

Pour une laïcité fraternelle - GARRIGUES ET SENTIERS

Pour une laïcité fraternelle - GARRIGUES ET SENTIERS

Pour une laïcité fraternelle

Le 20 janvier dernier, le Pasteur François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France et de la Conférence des responsables de culte en France, présentait ses vœux devant le Ministre de l'Intérieur et des Cultes. Faisant allusion aux critiques de membres du gouvernement contre l'observatoire de la laïcité et son président, Jean-Louis Bianco, il a souhaité une année « de paix et de concorde (…) dans le cadre d'une laïcité qui ne soit pas une laïcité sujette à des bouffées d'agressivité, y compris contre l'Observatoire de la laïcité ». Par ailleurs, il a exhorté les croyants à « réfléchir à cette incroyable charge de violence que peut contenir la religion si elle n'est pas pensée, traduite, réfléchie (…), si elle renonce à l'intelligence ou au difficile mais nécessaire exercice de l'interprétation et à celui de la lente et profonde méditation, si elle se réduit à une objurgation, à une obéissance, à une injonction, à un ordre »1.

Ces propos me semblent cerner avec beaucoup de justesse l'espace laïc. Il rejoint la compréhension qu'en donne Emmanuel Levinas : « Les institutions laïques qui placent les formes fondamentales de notre vie publique en-dehors des préoccupations métaphysiques, ne peuvent se justifier que si l'union des hommes en société, si la paix, répond elle-même à la vocation métaphysique de l'homme. Les institutions laïques ne sont possibles qu'à cause de la valeur en soi de la paix entre les hommes. (…) Cette recherche de la paix peut s'opposer à une religion, inséparable des dogmes. Mais si le particularisme d'une religion se met au service de la paix, au point que ses fidèles ressentent l'absence de cette paix comme l'absence de leur dieu (…) et ne les rendent ni tyranniques ni envahissants, mais plus ouverts et plus accueillants – la religion rejoint l'idéal de la laïcité »2.

La laïcité n'occupe pas une place qui surplomberait et toiserait toutes les langues maternelles historiques du sens et de la spiritualité. Ce serait vouloir s'affranchir de l'histoire et s'égaler à l'universel. Et finalement substituer un cléricalisme à un autre. Elle est l'espace de ce que Habermas appelle l'éthique de la discussion où chacun peut faire l'épreuve personnelle de ce à quoi il croit. En ce sens, c'est un espace spirituel.

Comme l'écrit Paul Ricœur : « Il nous faut aujourd'hui aller plus loin que les philosophes des Lumières: ne pas simplement "tolérer", "supporter" la différence, mais admettre qu'il y a de la vérité en dehors de moi, que d'autres ont accès à un autre aspect de la vérité que moi. Accepter que ma propre symbolique n'épuise pas les ressources de symbolisation du fondamental »3.

À l'être humain tenté par le court circuit entre son désir, son Éros et les représentations qu'il a reçues de sa tradition, le Mythos, la laïcité rappelle la fonction médiatrice de la raison, le Logos. C'est en cela qu'elle est un garde-fou contre les dérives sectaires et fondamentalistes des religions et contribue à les renvoyer à leur vocation fondamentale d'éveil des hommes à la spiritualité et à l'engagement dans l'universel concret de la fraternité universelle.

Bernard Ginisty

1 – François Clavairoly : discours du 20 janvier 2016 lors de la présentation des vœux de la Fédération Protestante de France, en présence de Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur et des cultes < http://www.protestants.org>.

2 – Emmanuel Levinas : La laïcité et la pensée d'Israël in Les imprévus de l'histoire, Éditions Fata Morgana, 1994, pages 181-182.

3 – Paul Ricœur : Il y a de la vérité ailleurs que chez soi, entretien avec Frédéric Lenoir publié dans L'Express du 23 juillet 1998.



Jtk

mardi 26 janvier 2016

“La violence est en contradiction avec toute religion digne de ce nom”, souligne le pape à la synagogue de Rome - La Croix

"La violence est en contradiction avec toute religion digne de ce nom", souligne le pape à la synagogue de Rome - La Croix

"La violence est en contradiction avec toute religion digne de ce nom", souligne le pape à la synagogue de Rome

Texte original italien dans l'Osservatore Romano des 18-19 janvier 2016 Texte original italien dans l'Osservatore Romano des 18-19 janvier 2016 (*)

Le 17 janvier 2016, le pape François s'est rendu, pour la première fois, au « Tempio maggiore », la grande synagogue de Rome située dans le quartier du ghetto, au bord du Tibre. Après Jean-Paul II en 1986 et Benoît XVI en 2010, il est le troisième pape à s'y rendre. Le pape François a été accueilli par la présidente de la communauté juive de Rome, Ruth Dureghello, et par le président de la communauté juive d'Italie, Renzo Gattegna. Après avoir souligné, dans son discours, que juifs et catholiques appartenaient à une seule et même famille, « la famille de Dieu », le pape François s'est arrêté sur l'importance de la déclaration Nostra aetate pour le dialogue judéo-chrétien. Reprenant ses propos de l'audience générale du 28 octobre 2015, place Saint-Pierre, il a expliqué que le concile Vatican II, avec cette déclaration, avait tracé la route en disant « "oui" à la redécouverte des racines juives du christianisme et "non" à toute forme d'antisémitisme… » Pour le pape François, les chrétiens, pour se comprendre eux-mêmes, « ne peuvent pas ne pas faire référence à leurs racines juives ». Et, a-t-il poursuivi, « l'Église reconnaît (…) l'irrévocabilité de l'Ancienne Alliance et l'amour constant et fidèle de Dieu pour Israël ». Abordant les grands défis du monde d'aujourd'hui – comme celui d'une écologie totale –, il a souligné que conflits, guerres et injustices « ouvrent de profondes plaies dans l'humanité et nous appellent à renforcer notre engagement pour la paix et la justice ». « La violence de l'homme sur l'homme est en contradiction avec toute religion digne de ce nom, et en particulier avec les trois grandes religions monothéistes », a également affirmé le pape François. Enfin, il a rendu un hommage appuyé aux victimes de la Shoah, notamment aux mille hommes, femmes et enfants de la communauté juive de Rome qui furent déportés à Auschwitz le 16 octobre 1943.

La DC

Chers frères et sœurs,

Je suis heureux d'être aujourd'hui avec vous dans ce Grand Temple. Je remercie pour leurs aimables paroles Monsieur Di Segni, Madame Dureghello et Maître Gattegna ; et je vous remercie vous tous pour votre accueil chaleureux, merci ! Todà rabbà !

En cette première visite dans cette synagogue, comme évêque de Rome, je désire vous exprimer à vous, mais aussi à toutes les communautés juives, le salut fraternel de paix de cette Église et de l'Église catholique tout entière.

Nos relations me tiennent à cœur. Déjà à Buenos Aires, j'avais pour habitude d'aller dans les synagogues et de rencontrer les communautés qui y étaient réunies, de suivre de près les fêtes et commémorations juives et de rendre grâce au Seigneur, qui nous donne la vie et qui nous accompagne dans le chemin de l'histoire. Au cours du temps, un lien spirituel s'est créé entre nous, qui a tissé la naissance de rapports amicaux authentiques et qui a même inspiré un engagement commun. Dans le dialogue interreligieux, il est fondamental que nous nous rencontrions comme frères et sœurs devant notre Créateur et que nous lui rendions grâce, que nous nous respections et que nous nous appréciions les uns les autres et que nous cherchions à travailler ensemble. Il existe, dans le dialogue judéo-chrétien, un lien unique et particulier, en vertu des racines juives du christianisme : juifs et chrétiens doivent donc se sentir frères, unis par le même Dieu et par un riche patrimoine spirituel commun (cf. Décl. Nostra aetate, n. 4) , sur lequel se fonder et continuer à bâtir notre futur.Nos relations me tiennent à cœur. Déjà à Buenos Aires, j'avais pour habitude d'aller dans les synagogues et de rencontrer les communautés qui y étaient réunies, de suivre de près les fêtes et commémorations juives et de rendre grâce au Seigneur, qui nous donne la vie et qui nous accompagne dans le chemin de l'histoire. Au cours du temps, un lien spirituel s'est créé entre nous, qui a tissé la naissance de rapports amicaux authentiques et qui a même inspiré un engagement commun. Dans le dialogue interreligieux, il est fondamental que nous nous rencontrions comme frères et sœurs devant notre Créateur et que nous lui rendions grâce, que nous nous respections et que nous nous appréciions les uns les autres et que nous cherchions à travailler ensemble. Il existe, dans le dialogue judéo-chrétien, un lien unique et particulier, en vertu des racines juives du christianisme : juifs et chrétiens doivent donc se sentir frères, unis par le même Dieu et par un riche patrimoine spirituel commun (cf. Décl. Nostra aetate, n. 4) (1), sur lequel se fonder et continuer à bâtir notre futur.

Avec cette visite, je suis les pas de mes prédécesseurs. Le pape Jean-Paul II vint ici, il y a trente ans, le 13 avril 1986  ; le pape Benoît XVI est venu parmi vous il y a six ans . À cette occasion, Jean-Paul II créa la belle expression « frères aînés », et en effet, vous êtes nos frères et nos sœurs aînés dans la foi.Avec cette visite, je suis les pas de mes prédécesseurs. Le pape Jean-Paul II vint ici, il y a trente ans, le 13 avril 1986 (2) ; le pape Benoît XVI est venu parmi vous il y a six ans (3). À cette occasion, Jean-Paul II créa la belle expression « frères aînés », et en effet, vous êtes nos frères et nos sœurs aînés dans la foi.Avec cette visite, je suis les pas de mes prédécesseurs. Le pape Jean-Paul II vint ici, il y a trente ans, le 13 avril 1986  ; le pape Benoît XVI est venu parmi vous il y a six ans (3). À cette occasion, Jean-Paul II créa la belle expression « frères aînés », et en effet, vous êtes nos frères et nos sœurs aînés dans la foi.Avec cette visite, je suis les pas de mes prédécesseurs. Le pape Jean-Paul II vint ici, il y a trente ans, le 13 avril 1986 (2) ; le pape Benoît XVI est venu parmi vous il y a six ans (3). À cette occasion, Jean-Paul II créa la belle expression « frères aînés », et en effet, vous êtes nos frères et nos sœurs aînés dans la foi.

L'amour constant et fidèle de Dieu pour Israël

Nous appartenons tous à une seule et même famille, la famille de Dieu, lui qui nous accompagne et nous protège comme son peuple. Ensemble, en tant que juifs et catholiques, nous sommes appelés à assumer nos responsabilités pour cette ville, en apportant notre contribution, surtout spirituelle, et en encourageant la résolution des différents problèmes actuels. Je souhaite que la proximité, la connaissance réciproque et l'estime entre nos communautés de foi grandissent toujours davantage. C'est pourquoi, il est significatif que je sois venu parmi vous, en ce jour, le 17 janvier, alors que la Conférence épiscopale italienne célèbre la « Journée du dialogue entre catholiques et juifs ».

Nous venons de célébrer le 50e anniversaire de la déclaration Nostra aetate du concile Vatican II, qui a rendu possible le dialogue systématique entre l'Église catholique et le judaïsme. Le 28 octobre dernier, Place Saint-Pierre, j'ai pu saluer également un grand nombre de représentants juifs, et je me suis exprimé ainsi : « Dieu mérite une gratitude particulière pour la véritable transformation qu'a subie, au cours de ces 50 années, la relation entre les chrétiens et les juifs. L'indifférence et l'opposition se sont transformées en collaboration et bienveillance. D'ennemis et étrangers, nous sommes devenus amis et frères. Le Concile, avec la déclaration Nostra ætate, a tracé la route : "oui" à la redécouverte des racines juives du christianisme ; "non" à toute forme d'antisémitisme et condamnation de toute injure, discrimination et persécution qui en découlent. » Nostra aetate a défini théologiquement pour la première fois, de façon explicite, les relations de l'Église catholique avec le judaïsme. Naturellement, elle n'a pas résolu toutes les questions théologiques qui nous concernent, mais elle y a fait référence de façon encourageante, en donnant une impulsion très importante pour de futures nécessaires réflexions. À ce propos, le 10 décembre 2015, la Commission pour les rapports religieux avec le judaïsme a publié un nouveau document, qui affronte les questions théologiques apparues au cours des dernières décennies de la promulgation de Nostra aetate. En effet, la dimension théologique du dialogue juif-catholique mérite d'être toujours plus approfondie, et je désire encourager tous ceux qui sont engagés dans ce dialogue à poursuivre dans ce sens, avec discernement et persévérance. Justement d'un point de vue théologique, apparaît clairement un lien indissociable qui unit les chrétiens et les juifs. Les chrétiens, pour se comprendre eux-mêmes, ne peuvent pas ne pas faire référence à leurs racines juives, et l'Église reconnaît, tout en professant le salut à travers la foi en Christ, l'irrévocabilité de l'Ancienne Alliance et l'amour constant et fidèle de Dieu pour Israël.Nous venons de célébrer le 50e anniversaire de la déclaration Nostra aetate (4) du concile Vatican II, qui a rendu possible le dialogue systématique entre l'Église catholique et le judaïsme. Le 28 octobre dernier, Place Saint-Pierre, j'ai pu saluer également un grand nombre de représentants juifs, et je me suis exprimé ainsi : « Dieu mérite une gratitude particulière pour la véritable transformation qu'a subie, au cours de ces 50 années, la relation entre les chrétiens et les juifs. L'indifférence et l'opposition se sont transformées en collaboration et bienveillance. D'ennemis et étrangers, nous sommes devenus amis et frères. Le Concile, avec la déclaration Nostra ætate, a tracé la route : "oui" à la redécouverte des racines juives du christianisme ; "non" à toute forme d'antisémitisme et condamnation de toute injure, discrimination et persécution qui en découlent. » Nostra aetate a défini théologiquement pour la première fois, de façon explicite, les relations de l'Église catholique avec le judaïsme. Naturellement, elle n'a pas résolu toutes les questions théologiques qui nous concernent, mais elle y a fait référence de façon encourageante, en donnant une impulsion très importante pour de futures nécessaires réflexions. À ce propos, le 10 décembre 2015, la Commission pour les rapports religieux avec le judaïsme a publié un nouveau document, qui affronte les questions théologiques apparues au cours des dernières décennies de la promulgation de Nostra aetate. En effet, la dimension théologique du dialogue juif-catholique mérite d'être toujours plus approfondie, et je désire encourager tous ceux qui sont engagés dans ce dialogue à poursuivre dans ce sens, avec discernement et persévérance. Justement d'un point de vue théologique, apparaît clairement un lien indissociable qui unit les chrétiens et les juifs. Les chrétiens, pour se comprendre eux-mêmes, ne peuvent pas ne pas faire référence à leurs racines juives, et l'Église reconnaît, tout en professant le salut à travers la foi en Christ, l'irrévocabilité de l'Ancienne Alliance et l'amour constant et fidèle de Dieu pour Israël.

Ni la violence, ni la mort n'auront jamais le dernier mot devant Dieu

Outre les questions théologiques, nous ne devons pas perdre de vue les grands défis que le monde d'aujourd'hui doit affronter. Celle d'une écologie totale est désormais prioritaire, et en tant que chrétiens et juifs nous pouvons et devons offrir à l'humanité tout entière le message de la Bible en prenant soin de la création. Les conflits, les guerres, les violences et les injustices ouvrent de profondes plaies dans l'humanité et nous appellent à renforcer notre engagement pour la paix et la justice. La violence de l'homme sur l'homme est en contradiction avec toute religion digne de ce nom, et en particulier avec les trois grandes religions monothéistes. La vie est sacrée, en tant que don de Dieu. Le cinquième commandement du Décalogue dit : « Tu ne tueras point » (Ex 20, 13). Dieu est le Dieu de la vie, et il veut toujours la promouvoir et la défendre ; et nous, créés à son image et à sa ressemblance, nous sommes tenus à faire de même. Chaque être humain, en tant que créature de Dieu, est notre frère, indépendamment de son origine ou de son appartenance religieuse. Chaque personne doit être regardée avec bienveillance, comme Dieu le fait, Lui qui tend sa main miséricordieuse à tous, indépendamment de leur foi et de leur origine, et qui prend soin de tous ceux qui ont davantage besoin de Lui : les pauvres, les malades, les exclus, les sans défense. Là où la vie est en danger, nous sommes appelés à la protéger encore plus. Ni la violence, ni la mort n'auront jamais le dernier mot devant Dieu, qui est le Dieu de l'amour et de la vie. Nous devons le prier avec insistance afin qu'il nous aide à pratiquer en Europe, en Terre Sainte, au Moyen-Orient, en Afrique et dans chaque partie du monde, la logique de la paix, de la réconciliation, du pardon, de la vie.

La Shoah nous enseigne qu'il faut toujours être vigilants

Le peuple juif, dans son histoire, a dû expérimenter la violence et la persécution, jusqu'à l'extermination des juifs d'Europe pendant la Shoah. Six millions de personnes, seulement parce qu'elles appartenaient au peuple juif, ont été victimes de la barbarie la plus inhumaine, perpétrée au nom d'une idéologie qui voulait remplacer l'homme à Dieu. Le 16 octobre 1943, plus de mille hommes, femmes et enfants de la communauté juive de Rome furent déportés à Auschwitz. Aujourd'hui, je souhaite les commémorer du fond du cœur, de façon particulière : leurs souffrances, leurs angoisses, leurs larmes ne doivent jamais être oubliées. Et le passé doit nous servir de leçon pour le présent et pour l'avenir. La Shoah nous enseigne qu'il faut toujours être vigilants, afin de pouvoir intervenir rapidement en défense de la dignité humaine et de la paix. Je voudrais dire que je suis proche de chaque témoin de la Shoah encore en vie ; et j'adresse mes salutations toutes particulières à vous, qui êtes ici présents.

Chers frères aînés, nous devons vraiment être reconnaissants pour tout ce qu'il a été possible de réaliser ces cinquante dernières années, parce que la compréhension réciproque, la confiance mutuelle et l'amitié ont grandi entre nous et se sont approfondies. Prions ensemble le Seigneur, afin qu'il conduise notre chemin vers un bon avenir, meilleur. Dieu a pour nous des projets de salut, comme dit le prophète Jérémie : « Car je connais les projets que j'ai formés sur vous, projets de paix et non de malheur, afin de vous donner un avenir et de l'espérance » (Jér 29, 11). Que le Seigneur nous bénisse et nous protège. Qu'il fasse resplendir son visage sur nous et nous donne sa grâce. Qu'il découvre sa face vers nous et nous accorde la paix (cf. Nm 6, 24-26). Shalom alechem !

(*) Traduction de Sophie Lafon d'Alessandro pour La DC. Titre, intertitres et notes de La DC.

(1) DC 1965, n. 1458, col. 1828.

(2) DC 1986, n. 1917, p. 436-439.

(3) DC 2010, n. 2440, p. 154-157.

(4) DC 1965, n. 1458, col. 1825.



Jtk

dimanche 24 janvier 2016

LIVRE/Recension : Chrétiens et Musulmans - Proches et lointains. du P. Maurice Borrmans - Le blog de Père Patrice Sabater

RECENSION

 

Chrétiens et Musulmans

Proches et lointains

Maurice Borrmans

 

Les événements récents au Proche-Orient, au Maghreb et également dans les pays occidentaux, soulignent l'importance grandissante d'entrer dans une connaissance plus affirmée des musulmans; communauté qui, aujourd'hui,  semble mise davantage à la marge  étant donné les exactions que nous connaissons en France et ailleurs dans le monde. L'Eglise catholique promeut ce chemin pour entrer dans un plus grand dialogue, et une meilleure estime de celui qui lit le Coran et qui remet sa vie à Celui qui « gouverne » son cœur. La presse française n'est pas en reste avec cette question tantôt voulant opposer Jésus à Mahomet, tantôt cherchant à positiver en pointant les lieux de dialogue possibles. Le nouveau livre du Père Maurice Borrmans, de la Société des Missionnaires d'Afrique, autrement appelés « Pères Blancs », et spécialiste des relations islamo-chrétiennes depuis de nombreuses années, nous renseigne sur ce sujet d'actualité. Le sous-titre de l'ouvrage invite très précisément à ce pas nécessaire pour ceux qui nous sont « proches et lointains ». Ce fut déjà l'intuition du Concile Vatican II permettant de regarder les autres religions sous un jour nouveau : le judaïsme et l'islam tout particulièrement. Le texte conciliaire, que nous célébrons actuellement, a ouvert l'Eglise à un dialogue inter-religieux patient, sans concession mais surtout sans anathèmes. L'auteur donne, ici, un aperçu éclairé et limpide de ce qui a contribué alors à l'émergence de ce dialogue tout en lui donnant des contours toujours d'actualité.

Ce petit livre que publie Médiaspaul se veut didactique. D'ailleurs, Maurice Borrmans se prête lui-même au jeu en soignant la présentation de son livre et en expliquant le contenu des cinq chapitres. Il s'agit d'une compilation de textes et de conférences très judicieusement agencées. Un livre qui, premièrement, « entend informer le chrétien sur ce que disent et pensent leurs partenaires musulmans de celui qui est au cœur de leur foi et au terme de leur espérance, à savoir Jésus-Christ » (page 6). Il s'attache ensuite à établir « les rapports religieux entre Chrétiens et Musulmans à travers les âges ». (p 7) Dans un troisième mouvement, il propose de vérifier comment se vit le rapport des chrétiens à l'autre, en « pays musulmans » (page 7). La quatrième proposition expose le texte de Nostra Aetate. Enfin, si le titre du dernier chapitre semble « curieux » (« Un évangile disponible à tous les musulmans »), son contenu est ouverture et miséricorde. Il invite le chrétien à se poser la question de « comment témoigner de l'Evangile en situation de dialogue et comment accueillir les valeurs spirituelles du partenaire ? » (page 8).

On l'aura compris, ce livre est une bénédiction pour tous ceux qui veulent croire et espérer en un dialogue possible au-delà des postures, des tentatives de déstabilisation de nos sociétés occidentales. L'Eglise y est engagée sans peur avec la seule volonté de dialoguer sans rien céder au dépôt de la foi permettant ainsi de pouvoir vivre ce « cinquième évangile vivant » dont l'auteur dessine les contours... Comment nos sociétés pourraient-elles se penser dans l'exclusion alors qu'il y a tant à offrir pour être des Hommes de conviction, de paix, de dialogue..., et de foi ?!? Alors, « faisons donc en sorte que tous les parfums qui s'exhalent des rosiers musulmans, juifs, chrétiens et autres se rencontrent par-dessus les murs qui semblent les séparer, car le Jardinier céleste est le même pour tous et son Esprit souffle où il veut ». (Maurice Borrmans, page 147)

Maurice Borrmans, Chrétiens et Musulmans – Proches et lointains.

Ed. Mediaspaul, Paris 2015, 151 pages. 16 €

Ass. "Béthanie-Lumières d'Orient"

http://www.chretiensdorient.com/2016/01/livre-recension-chretiens-et-musulmans-proches-et-lointains-du-p-maurice-borrmans.html?utm_source=_ob_email&utm_medium=_ob_notification&utm_campaign=_ob_pushmail


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Daech en Irak, c'est 18 000 civils tués, 3500 femmes et enfants esclaves - L'Express

Daech en Irak, c'est 18 000 civils tués, 3500 femmes et enfants esclaves - L'Express

19/1/2016

Daech en Irak, c'est 18 000 civils tués, 3500 femmes et enfants esclaves

Des membres de la comunauté Yézidi en Irak, le 8 avril 2015.

Dans un rapport publié ce mardi, l'ONU dresse un bilan effrayant des exactions commises par les djihadistes de Daech en Irak. Plus de 18 000 civils ont été tués depuis janvier 2014, et 3500 esclaves sont actuellement aux mains du groupe terroriste.

C'est un rapport édifiant que vient de publier l'ONU ce mardi sur les crimes commis par les djihadistes de Daech en Irak. La Mission d'assistance des Nations Unies pour l'Irak (MANUI) et le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'Homme déplorent la détention de plus de 3500 personnes, réduites au rang d'esclaves, et provenant en premier lieu de la communauté des Yézidis. Plus largement, l'ONU dénonce des actes pouvant équivaloir à "des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité, et peut-être à un génocide" 

L'ONU a déploré mardi des "pertes civiles effarantes" en Irak, avec près de 19 000 civils tué en près de deux ans. Dans un rapport, les Nations unies dénoncent l'impact "grave et étendu" du conflit en Irak sur les civils, avec 18 802 civils tués et 36 245 blessés entre le 1er janvier 2014 et le 31 octobre 2015. Par ailleurs, 3,2 millions de personnes ont été déplacées à l'intérieur du pays depuis janvier 2014, dont plus d'un million d'enfants. Et les chiffres réels pourraient être beaucoup plus élevés que ceux documentés, prévient l'ONU. 

Des charniers découverts

Les souffrances endurées par les civils en Irak sont "terribles", souligne le rapport. Ceux-ci estiment que le groupe Etat islamique (EI) "continue à perpétrer des violences et des abus du droit international des droits de l'Homme ou du droit international humanitaire de manière systématique et à grande échelle". 

La découverte de plusieurs charniers est également documentée dans le rapport, y compris dans des zones qui étaient sous le contrôle de l'EI et qui ont été ensuite reprises par le gouvernement. Certains charniers dateraient de l'époque de Saddam Hussein. L'un d'entre eux contiendrait 377 corps, dont des dépouilles de femmes et d'enfants qui auraient été tués lors des soulèvements chiites de 1991 contre Saddam Hussein dans la région de Bassora. 



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Jean-François Colosimo : «L'alliance de la Turquie avec Daech est objective»

Jean-François Colosimo : «L'alliance de la Turquie avec Daech est objective»

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Jean-François Colosimo a accordé un entretien-fleuve à FigaroVox au sujet du rôle géopolitique de la Turquie au proche-orient. Il déplore le double-jeu d'Erdoğan et la passivité de l'Europe.


Jean-François Colosimo est écrivain et essayiste. Président du Centre national du livre de 2010 à 2013, il dirige désormais les éditions du Cerf. Son dernier livre, Les Hommes en trop, la malédiction des chrétiens d'Orient, est paru en septembre 2014 aux éditions Fayard. Il a également publié chez Fayard Dieu est américain en 2006 et L'Apocalypse russe en 2008.


On a appris les bombardements d'un village chrétien de Sharanish au nord de l'Irak, dans le cadre des opérations anti-PKK. Juste après les attentats d'Istanbul, la Turquie avait lancé une campagne de frappes aériennes contre Da'ech en Irak et en Syrie. Quel est son ennemi prioritaire, Da'ech ou les minorités?

Jean-François Colosimo: Une vague de bombes qui revêt valeur d'avertissement pour l'État islamique et de gage pour les États-Unis ne saurait épuiser la question du double jeu d'Ankara dans la nouvelle crise d'Orient. Le fait de se vouloir à la fois le champion de l'Otan et le passeur de Da'ech n'engage pas d'autre ennemi prioritaire que soi-même. La Turquie est en lutte contre la Turquie. Elle combat les spectres des massacres sur lesquels elle s'est édifiée. Que les minorités, chrétiennes ou autres, souffrent au passage, c'est leur sort. Car toute l'histoire moderne du pays se conjugue dans ce mouvement de balancier perpétuel entre adversité du dehors et adversité du dedans. Et au regard duquel les changements de régime ne comptent guère.

Comment s'est opéré le basculement d'une Turquie laïque vers l'intensification de l'emprise de l'islam sur toute la société? Quel est le sort des minorités ethniques et religieuses?

Afin de comprendre la Turquie d'aujourd'hui, il faut, comme il est d'habitude en Orient, s'établir sur le temps long. Plusieurs illusions de perspective menacent en effet une claire vision: qu'il y aurait une permanence en quelque sorte éternelle de la Turquie, qu'il y aurait lieu d'opposer la Turquie laïciste de Mustafa Kemal et la Turquie islamiste de Recep Erdoğan, que l'avenir de la Turquie serait nécessairement assuré.

La Turquie contemporaine est incompréhensible sans l'Empire ottoman, lequel est lui-même incompréhensible sans l'Empire byzantin qui l'a précédé: comment passe-t-on, à l'âge moderne, d'une mosaïque multi-ethnique et pluri-religieuse à des ensembles nationaux et étatiques cohérents? Or, la décomposition de l'Empire ottoman, entamé dans les années 1820 avec l'indépendance de la Grèce, n'en finit pas de finir. Depuis la chute du communisme, de Sarajevo à Bagdad, les récents incendies des Balkans et les présents incendies du Levant attestent de sa reprise, de sa poursuite et de son caractère, pour l'heure, inachevé.

Ce processus historique, déjà long de deux siècles, explique à la fois la naissance et l'agonie de la Turquie moderne. Deux événements relevant de la logique de la Terreur encadrent son surgissement: le premier génocide de l'histoire, commis en 1915 par le mouvement progressiste des Jeunes-Turcs, soit 1 600 000 Arméniens d'Asie mineure anéantis ; la première purification ethnique de l'histoire, entérinée par la Société des Nations en 1923, consécutive à la guerre de révolution nationale menée par Mustafa Kemal et se soldant par l'échange des populations d'Asie mineure, soit 1 500 000 Grecs expulsés du terreau traditionnel de l'hellénisme depuis deux mille cinq cents ans. Une dépopulation qui a été aussi bien, il faut le noter, une déchristianisation.

La déconstruction impériale que se proposait d'acter le Traité de Sèvres en 1920, en prévoyant entre autres une Grande Arménie et un Grand Kurdistan, laisse la place à la construction de la Grande Turquie, acquise par les armes, qu'endosse le Traité de Versailles en 1923. La Turquie naît ainsi d'un réflexe survivaliste. Elle doit perpétuer sa matrice, continuer à chasser ses ennemis pour exister, sans quoi elle risque de retomber dans la fiction et l'inexistence. L'ennemi extérieur a été battu. Reste à vaincre l'ennemi intérieur. Ou, plutôt, les ennemis, tant ils sont nombreux et tant la fabrique nationaliste ne fonctionne qu'en produisant, à côté du citoyen-modèle, son double démonisé.

Qui ont été les victimes de cette politique?

Dès l'instauration de la République par Kemal, la modernisation et l'occidentalisation se traduisent par l'exclusion. C'est vrai des minorités religieuses non-musulmanes, ce qu'il reste de Grecs, Arméniens, Syriaques, Antiochiens, Juifs, Domnehs (ou Judéo-musulmans), Yézidis, etc. C'est vrai des minorités musulmanes hétérodoxes, Soufis, Alévis, Bektâchîs, etc. C'est vrai des minorités ethniques, Kurdes, Lazes, Zazas, etc. Toute différence est assimilée à une dissidence potentielle. Toute dissidence est assimilée à un acte d'antipatriotisme. Tout antipatriotisme doit être supprimé à la racine. Tout signe distinct de culte, de culture ou de conviction doit être dissous dans une identité unique, un peuple idéal et un citoyen uniforme.

Cette guerre intérieure, que conduit l'État contre ces peuples réels au nom d'un peuple imaginaire, parcourt le petit siècle d'existence de la Turquie moderne. De 1925 à 1938, elle est dirigée contre les Kurdes à coups de bombes, de gaz et de raids militaires. En 1942, elle prend un tour légal avec la discrimination fiscale des communautés «étrangères», dont les Juifs, et la déportation dans des camps de dix mille réfractaires. De 1945 à 1974, elle s'appuie sur les pogroms populaires, à l'impunité garantie, pour liquider les derniers grands quartiers grecs d'Istanbul et leurs dizaines de milliers d'habitants tandis qu'à partir de 1989, les institutions religieuses arméniennes se trouvent plus que jamais otages d'un chantage à la surenchère négationniste. Avec les putschs de 1960, 1971, 1980, la guerre devient celle de l'armée contre la démocratie. Hors des périodes de juntes, elle est le produit du derin devlet, de «l'État profond», alliance des services secrets, des groupes fascisants et des mafias criminelles qui orchestre répressions sanglantes des manifestations, éliminations physiques des opposants et attentats terroristes frappant les mouvements contestataires: ce qui aboutit par exemple, entre les années 1980 - 2010, à décapiter l'intelligentsia de l'activisme alévi. Mais la guerre classique peut aussi reprendre à tout moment: dite «totale», puis «légale» contre le PKK d'Abdullah Öcalan avec la mise sous état de siège du Sud-Est, le pays kurde, elle présente un bilan de 42 000 morts et 100 000 déplacés à l'intérieur des frontières en vingt ans, de 1984 à 2002.

La prise de pouvoir d'Erdoğan et de l'AKP va permette un retour de l'islam au sein de l'identité turque. Elle acte en fait une convergence sociologique qui a force d'évidence démographique, accrue par la volonté de revanche des milieux traditionnels marginalisés par le kémalisme, des classes laborieuses délaissées par les partis sécularisés, de la paysannerie menacée par la modernisation mais aussi, dans un premier temps, des minorités tentées de rompre la chape de plomb étatique. La réalité va cependant vite reprendre ses droits: le fondamentalisme sunnite devient la religion constitutive de la «turquité» comme, hier, l'intégrisme laïciste. La couleur de l'idéologie change, mais ni la fabrique, ni la méthode, ni le modèle. Les minorités, abusées, trahies, redeviennent les cibles d'une construction artificielle et imposée. Mais entretemps, à l'intérieur, la société est divisée puisqu'elle compte une avant-garde artistique et intellectuelle constituée. Et à l'extérieur, la stabilité intermittente issue du Traité de Lausanne cède devant les réalités oubliées du Traité de Sèvres.

Quelles sont les ambitions géopolitiques de la Turquie dans la région proche-orientale et caucasienne?

Parallèlement à son entreprise d'islamisation de la société, Erdoğan a voulu établir la Turquie comme puissance internationale conduisant une politique autonome d'influence. La Turquie laïciste et militaire de la Guerre froide, intégrée au bloc occidental, n'est plus qu'un fantôme, servant de leurre à une ambition néo-ottomane. La Turquie veut à nouveau dominer le monde musulman proche-oriental. Or les pays arabes du Levant ont précisément fondé leur indépendance sur le rejet du joug des Turcs-ottomans, considérés comme des intrus politiques et des usurpateurs religieux et les anciennes républiques musulmanes d'URSS restent dans l'orbe de Moscou. C'est la limite de l'exercice.

Erdoğan a néanmoins voulu jouer sur tous les tableaux: comme protecteur des entités ex-soviétiques turcophones en Asie centrale et sunnites au Caucase ; comme médiateur de la Palestine et de la Syrie au Machrek ; comme allié des populations islamisées d'Albanie, du Kosovo et de Bosnie en Europe ; et même comme défenseur des Ouïghours musulmans en Chine. Le signe le plus probant de sa rupture avec l'Occident étant de s'être posé en adversaire d'Israël, jusque-là l'allié d'Ankara, à l'occasion de ses sorties verbales à Davos ou des expéditions navales présentées comme humanitaires à destination de Gaza.

Le fil rouge? Que la Turquie, sortie de l'effondrement de l'Empire ottoman, déportée à l'Ouest par une laïcisation jugée contre-nature, redevienne la première puissance du monde musulman et sunnite.

Comment comprendre l'emprise d'Erdogan et de l'AKP, un parti islamo-conservateur, sur un pays qui semblait avoir réalisé une entreprise d'européanisation et de laïcisation depuis un siècle?

La pointe fine de la société civile, souvent remarquable, issue des anciens milieux cosmopolites d'Istanbul-Constantinople ou d'Izmir-Smyrne, tournée vers l'Europe non pas comme modèle de technicité mais de culture, reste malheureusement inefficace dans l'ordre politique. De surcroît, maladie fréquente dans les pays musulmans de Méditerranée orientale, l'opposition démocratique est éclatée, les forces progressistes étant divisées, notamment à cause de la question des minorités. Enfin, Erdoğan a su mener une guerre souterraine visant à soumettre les pouvoirs qui pouvaient lui résister: militaire, parlementaire, judiciaire, médiatique, et même religieux. L'erreur et la honte de l'Europe sont d'avoir laissé se développer son emprise tyrannique.

Il faut rappeler l'affaire Ergenekon, du nom d'un réseau supposément composé de militants nationalistes sous la coupe d'officiers militaires et démantelé par le gouvernement islamiste. Entre 2008 et 2010, à la faveur d'une instruction et d'un procès fleuve, trois cents personnes ont été arrêtées, 194 inculpées, et les condamnations aussi nombreuses ont permis de mettre au pas l'armée et de discréditer l'idéologie républicaine. Il faut rappeler les dizaines et dizaines de journalistes virés sur ordre d'en-haut, emprisonnés pour offenses à la patrie, à l'islam, au chef de l'État. Il faut rappeler les poursuites judiciaires contre l'écrivain Orhan Pamuk qui avait osé évoquer le génocide des Arméniens, contre le pianiste Fazil Say qui avait osé se déclarer athée. Mais aussi la restauration du voile dans l'espace public sous prétexte de liberté de conscience, l'hypertaxation du raki et plus généralement de l'alcool sous prétexte de lutte contre l'alcoolisme, la multiplication des mosquées sous prétexte de la moralisation de la jeunesse, etc.

Dans le même temps, le mouvement protestataire né à Istanbul après qu'Erdogan a annoncé sa volonté de détruire le Parc Gezi de Taksim, ce bastion alévi, a récemment enflammé la Turquie. La résistance qui existe est ainsi populaire et parcourue par les survivances minoritaires.

Nous sommes face à un engrenage et une dérive autoritaire qui ne dit pas son nom. Au point que, alors qu'Erdoğan fustige «les nationalismes ethniques et religieux qui menacent la Turquie» (sic), bat le rappel de la pièce de théâtre qu'il avait écrite dans les années 1970 et dans laquelle il dénonçait le complot franc-maçon, juif et communiste, qu'il avance que les musulmans ont découvert l'Amérique avant Christophe Colomb ou que l'hitlérisme a été un facteur de modernisation, qu'il se fait construire un palais de mille pièces à Ankara, c'est son mentor spirituel, l'islamiste Fethullah Gülen, qui dénonce la mainmise et la corruption de l'AKP!

Or, signe des temps, les dernières élections ont vu pour la première fois des Turcs non- kurdes voter pour des candidats kurdes, en l'occurrence ceux du parti HDP mené par Selahattin Dermitaş. Cela montre que la société entend barrer la route à la révision constitutionnelle grâce à laquelle Erdoğan veut s'attribuer les pleins pouvoirs. C'est dans ce contexte qu'est survenue l'instrumentalisation des attentats attribués à Da'ech.

Quelle position la Turquie a-t-elle adopté à l'endroit de Da'ech?

Le sommet de la politique d'islamisation d'Erdoğan est le soutien implicite de la Turquie à Da'ech, par hostilité au régime d'Assad, aux courants progressistes arabes, et par une alliance objective sur le sunnisme fondamentaliste. La Turquie s'élève enfin contre l'essor de l'identité kurde en Turquie et, de ce point de vue, son alliance avec Da'ech est objective.

C'est l'État turc qui a déverrouillé l'État islamique en lui offrant un hinterland propice au transport des combattants, à l'approvisionnement en armes, au transfert de devises, au commerce du pétrole. C'est la société turque qui souffre de ce rapprochement insensé. C'est l'Europe qui s'entête à demeurer aveugle à cette connivence mortifère.

Pour quelle raison cette ambiguïté turque n'est-elle pas dénoncée par les pays qui luttent contre l'État islamique?

Parce que l'Europe impotente, sans diplomatie et sans armée a cédé au chantage d'Erdoğan sur l'endiguement supposé des réfugiés. Argent, reconnaissance, soutien, silence: Merkel et Hollande ont tout accordé à Erdoğan. Surtout, l'Union se plie au diktat de la politique ambivalente d'Obama qui privilégie l'axe sunnite, saoudien-qatari-turc, avec pour souci premier de ne pas sombrer l'Arabie saoudite dans le chaos.

Comment une Turquie entrée dans une phase d'islamisation à marche forcée peut-elle encore espérer intégrer une Union européenne laïque? Pour quelle raison l'UE, depuis 1986, continue-t-elle à fournir des fonds structurels à un État dont il est hautement improbable qu'il entre en son sein?

La Turquie, en raison de son héritage byzantin, partagé entre l'Ouest et l'Est, a depuis toujours manifesté une volonté d'association avec l'Occident. Sa tentative d'entrer dans l'UE était liée au fait qu'une Turquie laïciste et moderne voulait être un exemple d'européanisation. Or aujourd'hui s'est opéré un renversement d'alliance vers l'Orient, et de l'occidentalisation à l'islamisation.

L'entrée de la Turquie dans l'UE semblait cependant peu probable et le paraît encore moins aujourd'hui pour plusieurs raisons: géographiquement, l'Europe s'arrête au Bosphore. Historiquement, l'Europe s'est affirmée à Lépante et à Vienne en arrêtant les Ottomans. Politiquement, la Turquie deviendrait le pays à la fois le plus peuplé et le moins avancé, le plus religieux et le moins démocratique de l'Union. Militairement, elle en porterait les frontières sur des zones de guerre. Mais, surtout, culturellement, philosophiquement, l'État turc, non pas les intellectuels turcs, refuse cette épreuve typiquement européenne du retour critique sur soi et sur l'acceptation d'une mémoire partagée quant au passé, à commencer par le génocide des Arméniens. Mais l'arrimage de la Turquie à l'Europe, sous la forme de partenariat privilégié, doit demeurer un objectif. Il ne passe pas par une amélioration des cadres politiques ou économiques, mais par une libération des mentalités. Ce que veut empêcher Erdoğan.

L'affrontement russo-turc est-il en passe de se durcir?

Erdoğan a osé défier Poutine sans en avoir les moyens et pour complaire aux États-Unis. L'opposition là encore est ancienne, ancrée, pluriséculaire et constitue un invariant de la géopolitique des civilisations. Un des vieux rêves tsaristes était de conquérir l'Empire ottoman afin de restaurer Byzance dont la Russie est issue. En 1915, l'annexion de Constantinople-Istanbul et sa transformation en Tsargrad, nouvelle capitale d'un Empire chrétien d'Orient couvrant des mers froides aux mers chaudes était à l'ordre du jour. Ce conflit renaît aujourd'hui: on aura ainsi vu récemment les Turcs réclamer la Crimée, redevenue russe, comme «terre de leurs ancêtres». Ou le parlement turc débattre du retour de Sainte-Sophie, la plus grande basilique du monde jusqu'à la construction de Saint-Pierre de Rome, transformée en musée sous Atatürk, au statut de mosquée qui avait été le sien sous l'Empire ottoman, tandis que les députés de la Douma votaient une motion en faveur de sa réouverture au culte orthodoxe.

Moscou est déjà l'alliée d'Assad: il ne lui resterait qu'à appuyer les Kurdes, en profitant par exemple de leurs puissants relais communs en Israël, pour menacer profondément Ankara et embarrasser durablement Washington. Erdoğan a compris trop tardivement que, eu égard à la détermination de Poutine, il avait allumé un incendie.

Comment expliquer l'incohérence de la politique étrangère de la France au Proche-Orient? Le pouvoir a-t-il une compréhension des ressorts profonds qui animent les pays de cette région?

Ces considérations historico-religieuses échappent totalement au gouvernement français et à l'Union européenne. La France fait preuve d'un manque de compréhension flagrant des ressorts profonds de ce qui se passe au Proche-Orient. Cette incompréhension n'est jamais qu'un signe de plus de l'erreur politique et morale qu'a été le choix d'abandonner le Liban qu'avait été celui de François Mitterrand. François Hollande, encore moins avisé, professe pour des raisons gribouilles de dépendance économique, une politique d'inféodation envers les pays théoriciens et fournisseurs de l'islamisme arabe qu'il était prêt à intituler pompeusement «la politique sunnite de la France» si quelques vieux pontes du Quai d'Orsay doués de mémoire ne l'en avaient pas dissuadé.

La France de François Hollande a substitué à sa traditionnelle politique d'équilibre en Orient une politique hostile à l'Iran et à la Syrie, ignorante des Chiites et indifférente aux chrétiens. Ce n'est pas qu'une faute de Realpolitik, c'est une faute de l'intelligence et du cœur. Ou si l'on préfère, du devoir et de l'honneur.

Quant à la Turquie proprement dite, au sein de cette «politique sunnite» que dirige Washington, c'est Berlin, liée de manière décisive à Ankara par la finance, l'industrie, l'immigration, qui décide pour Paris.

Mais cet aveuglement de la gauche au pouvoir est-il si surprenant? Ce furent les socialistes d'alors, leurs ancêtres en quelque sorte, qui entre 1920 et 1923 encouragèrent les Grecs à reconquérir les rivages du Bosphore et de l'Égée avant de les trahir au profit de Mustafa Kemal, arguant qu'il fallait l'armer car son progressisme avait l'avantage sur le terrain et représentait l'avenir absolu. Et quitte à faire retomber une nouvelle fois Byzance dans l'oubli! Quel aveuglement sur la force du théologique en politique… Rien de bien neuf sur le fond, donc. Mais les massacres qui se préparent en Orient creuseront de nouveaux charniers qui, pour l'histoire, changeront cette ignorance passive en cynisme délibéré.



Jtk