Affichage des articles dont le libellé est Bormans. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Bormans. Afficher tous les articles

jeudi 15 septembre 2016

P. Maurice Borrmans : « À Ratisbonne, un malentendu regrettable »

L a Croix -P. Maurice Borrmans, le 13/09/2016 à 12h19
Professeur émérite de l’Institut pontifical d’études arabes et d’islamologie (Pisai) à Rome, le P. Maurice Borrmans revient sur la polémique née il y a dix ans exactement d’une leçon donnée par le pape Benoît XVI dans son ancienne université de Ratisbonne en Bavière.
Il y abordait incidemment du rapport entre foi et raison dans l’islam, à partir d’une citation malencontreuse tirée d’une controverse médiévale.
« À Ratisbonne, le 12 septembre 2006, dans le cadre amical de retrouvailles universitaires, Benoît XVI adressait à la pensée occidentale ses réflexions de philosophe et de théologien au sujet de son positivisme scientifique et de son relativisme spirituel qui la rendent incapable de comprendre les autres cultures et les diverses religions du monde.
Telle était bien l’intention profonde de ses propos, qu’il introduisit par une citation malencontreuse du savant empereur byzantin Manuel II Paléologue en son dialogue avec un érudit musulman de son temps.
En effet, la phrase qu’il en avait retenue est celle-ci : « Dieu ne prend pas plaisir au sang et ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu ». Malheureusement elle s’inscrivait dans un contexte polémique où l’empereur critiquait un islam violent et son prophète fondateur.

« Le pape a-t-il gaffé ? »

Pouvait-il s’attendre à toutes les réactions que suscita son texte de la part des opinions publiques islamiques et d’un grand nombre de penseurs musulmans : caricatures désobligeantes, propos insultants, articles critiques, interventions diplomatiques, menaces physiques ? Il suffit d’en citer quelques-unes pour mesurer l’ampleur du malentendu que cela suscita. L’hebdomadaire francophone Jeune Afrique commentait ainsi son titre Benoît XVI : « Le pape a-t-il gaffé en laissant entendre que l’islam est par essence violent et peu accessible à la raison ? Ou n’a-t-il fait qu’exprimer le fond de sa pensée ? »
C’est bien cette deuxième hypothèse qu’ont alors développée la presse et la télévision en pays d’islam, d’où les accusations d’ignorance ou de mépris, d’inimitié profonde ou de refus du dialogue. Qui n’en a pas souffert parmi les chrétiens et les musulmans engagés dans les voies difficiles de l’amitié entre les uns et les autres ? Heureusement nombreuses furent alors les explications de Benoît XVI lui-même et de ses collaborateurs et représentants à Rome.

« Venez-en à une parole commune »

N’a-t-il pas reçu en audience spéciale, le 25 septembre, les ambassadeurs des pays islamiques auprès du Saint-Siège pour leur exprimer son estime des musulmans ? Une Lettre ouverte à lui adressée, le 16 octobre, par les 38 membres de l’Académie islamique de ‘Ammân rectifiait en huit points les assertions de son discours. Un an plus tard, 138 personnalités religieuses de l’islam d’aujourd’hui adressaient, à leur tour, une Lettre ouverte ayant pour titre un verset coranique « Venez-en à une parole commune entre nous et vous », à tous les responsables des communautés chrétiennes de ce temps, déclarant que le véritable monothéisme consiste à « aimer Dieu et son prochain ».
C’est dire que « l’événement Ratisbonne » a aussi eu des effets bénéfiques puisque de nombreux penseurs musulmans en ont lu tout le texte et en ont déduit ce que pouvaient être désormais les grandes lignes d’un dialogue sérieux en esprit et vérité.

Nombreux penseurs musulmans

C’est ainsi qu’un discours essentiellement pensé et rédigé en fonction d’un Occident devenu positiviste, relativiste et athée et d’une Europe invitée à retrouver ses racines chrétiennes au nom d’une harmonie entre science, foi et raison, s’est paradoxalement révélé être, pour ces penseurs, une invitation à une réflexion d’ensemble sur le thème abordé.
Le théologien Hmida Ennaifer, co-président du Groupe tunisien de recherches islamo-chrétien (Gric), n’a-t-il pas dit que « l’admonestation du pape, bien qu’adressée à l’Occident, concerne au plus haut point les musulmans d’aujourd’hui, car elle met le doigt sur l’une des plaies qui les gangrènent ». Et l’universitaire égyptien Wael Farouq de confesser que « le monde arabe vit dans la modernité, mais son langage et sa vision de lui-même refusent cette modernité. Il se fabrique une image totalement diverse et c’est de cette fracture entre ce qu’il vit et ce qu’il prétend vivre que naît la crise actuelle ».
De son côté, l’intellectuel libyen Aref Ali Nayed s’est alors prononcé en faveur de l’harmonie nécessaire entre « les exigences de la philosophie et les certitudes de la Révélation », car si « Dieu est absolument libre d’agir, Il s’est librement fixé d’agir selon la raison ». Quant au directeur de la revue libanaise al-Ijtihâd, Ridwan Al Sayyid, il y a écrit que la réflexion commune sur « l’image rationnelle de Dieu » constitue « un vaste champ pour des études comparées ».

Urgence et exigences du dialogue

De son côté, Abdelwahhâb Meddeb, l’humaniste tunisien qui était en charge des « cultures d’islam » à Radio France, n’hésitait pas à inviter les « gardiens de l’islam » d’aujourd’hui à renouveler leur interprétation des versets coraniques du glaive (9, 5) et de la guerre (9, 29) pour d’autant mieux honorer « le Dieu purifié », titre de sa longue intervention dans le livre publié chez Bayard, La conférence de Ratisbonne. Enjeux et controverses (2007).
Qui ne voit qu’il y a encore et toujours place pour bien des échanges entre chrétiens et musulmans : dialogue de la vie, dialogue des services, dialogue des théologies, dialogue des spiritualités ? Ratisbonne en aura rappelé l’urgence et les exigences, mais c’est « le suivi » qui ne suit pas, hélas ! À preuve ce qui est advenu à la suite de la Lettre 138 : les trois rencontres qu’a organisées le forum islamo-catholique se sont contentées, encore une fois hélas !, de discours parallèles.
Le dialogue ne va jamais sans le respect, et donc la réciprocité. Il faudrait lui donner toutes ses chances par les temps qui courent. »
P. Maurice Borrmans

http://www.la-croix.com/Religion/Pape/P-Maurice-Borrmans-A-Ratisbonne-un-malentendu-regrettable-2016-09-13-1200788642?utm_source=Newsletter&utm_medium=e-mail&utm_content=20160913&utm_campaign=newsletter__crx_urbi&utm_term=349747&PMID=197ec60227781c490e5f147c1975ad4f

Le Dalaï-Lama lors d’une conférence à Paris le mercredi 13 septembre 2016.

mercredi 2 septembre 2015

INTERRELIGIEUX : Le défi évangélique du dialogue avec l’islam | Lire pour croire…

INTERRELIGIEUX : Le défi évangélique du dialogue avec l'islam | Lire pour croire…


borrmans

Ce livre aborde des questions cruciales pour le dialogue islamo-chrétien, en faisant le choix de la compréhension plutôt que de la confrontation 

Chrétiens et musulmans. Proches et lointains

de Maurice Borrmans

Médiaspaul,  2015, 150 p. 16 €

« Le présent livret, écrit dans son introduction le P. Borrmanns, spécialiste reconnu de l'islam et grand promoteur du dialogue islamo-chrétien dans son introduction,voudrait être une modeste pièce à verser au dossier du dialogue culturel et spirituel entre les disciples du Christ et les fidèles du Coran. »
Pour ce faire, il a regroupé cinq de ses contributions parues dans diverses revues théologiques  au cours de la dernière décennie, abordant des questions cruciales et délicates comme la figure de Jésus dans l'islam, l'histoire des relations entre chrétiens et musulmans depuis les origines de l'islam jusqu'à Vatican II (où l'on découvre de part et d'autre, une abondante littérature apologétique et plus ou moins polémique selon les périodes), l'émergence  de la déclaration conciliaire Nostra Aetate sur les relations de l'Église avec les religions non chrétiennes qui aborde notamment le rapport avec les musulmans, l'accueil que font les musulmans à l'Évangile de Jésus.

Le « consensus musulman » au sujet de Jésus du Coran

Le livre s'ouvre par une remarquable synthèse sur Jésus vu par les musulmans, que ce soit dans le Coran, l'islam classique ou contemporain ou la mystique musulmane. « Pour mieux répondre aux exigences de vérité que suppose un dialogue authentique, les baptisés ont à connaître  ce qu'est le 'Jésus du Coran' pour les disciples de Muhammad », justifie le P. Borrmans, avant de résumer le « consensus musulman » : « Jésus est tout simplement prophète et messager, honoré et proche de Dieu, signe merveilleux et thaumaturge miséricordieux. Il n'a été ni tué, ni crucifié, mais on ne sait apparemment rien de sa fin ultime. Il est venu proclamer l'unicité de Dieu, il s'est toujours présenté comme 'le Fils de l'Homme' et n' arien prétendu de ce que les chrétiens lui attribuent indûment. »  
Le Jésus de l'islam est très éloigné du Jésus des évangiles… La raison est simple : pour les musulmans, l'Évangile authentique, comme la véritable Torah d'ailleurs, a disparu, « même si des bribes de l'un et de l'autre peuvent se retrouver dans les livres actuellement détenus par les juifs et les chrétiens ». « Pour les musulmans, explique plus encore l'auteur, la Torah, l'Évangile et le Coran sont des livres directement révélés par Dieu, sans qu'y interviennent une quelconque doctrine de l'inspiration et donc d'une collaboration possible entre un auteur divin et un auteur humain. » 

Un « cinquième évangile vivant »

Le P. Borrmans exprime au passage un regret : que cinquante d'efforts de dialogue islamo-chrétien n'ait pas « changé le 'regard' que jette aujourd'hui un milliard de musulmans sur 'Îsâ ibn Maryam' » (Jésus fils de Marie). Et le défi fondamentaliste auquel doivent faire face les penseurs et théologiens musulmans n'est pas très propice sinon à une ouverture, au moins à une curiosité sur ce que les sources chrétiennes disent de Jésus.
Mais le théologien ne dépose pas les armes et ouvre des pistes pour le dialogue, en s'appuyant sur différents documents magistériels. Il veut aussi prendre au sérieux les musulmans qui disent croire à l'Évangile, « dont le Coran nous dit qu'il est un livre et une partie du Livre », et apprécient les vertus que pratiquent les chrétiens. « Si donc l'Évangile chrétien, en ses dimensions historiques et théologiques, échappe à ce que croient les musulmans, il peut cependant les intéresser en ses dimensions sociales et spirituelles », écrit le père blanc qui voit là un appel lancé aux chrétiens à être pour les musulmans une « cinquième évangile vivant », que nul ne pourra contester s'il est vécu « en esprit et en vérité », dans le service de la justice et de la paix.

Espérer en Celui qui a détruit les 'murs de séparation' 

« C'est en un tel sens que la condition du chrétien est bien celle d'un 'défi évangélique', conclut le P. Borrmans.  Ce faisant, le dialogue interreligieux devient 'émulation spirituelle' et on peut alors envisager un passage graduel à une quadruple conversion aux valeurs du Royaume (les béatitudes), aux promesses de Dieu comme Père, à l'appel fascinant de Jésus 'modèle unique' et à la communion fraternelle en l'Eglise 'prémisse du Royaume'. La condition du chrétien est bien celle d'un 'évangile vivant' qui fait mystère et suscite des interrogations chez qui en est le témoin inattendu. » Condition certes « des plus incommodes », notamment à une période où le dialogue s'avère difficile, mais qui plonge les chrétiens au cœur du mystère pascal, les poussant à « mieux vivre leur espérance en Celui qui  déjà détruit les 'murs de séparation' par sa Croix et sa Pâque, et qui leur confie aujourd'hui 'le ministère de  la réconciliation' entre les fils de l'Eglise et les fidèles de l'islam ».
DOMINIQUE GREINER