vendredi 6 février 2015

TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE - Encyclopædia Universalis

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TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE

La lutte contre le fanatisme – qu'il appelle aussi enthousiasme – a été une constante du combat mené par Voltaire (1694-1778), au point d'irriter parfois ses amis philosophes et d'attiser plus encore la haine de ses adversaires.

Le Traité sur la Tolérance, qui parut en 1763, est lié à l'affaire Calas, dans laquelle VoltaireVoltaire assis, J.-A. Houdon joua un grand rôle. Rappelons les faits, que le voltairianisme du xixe siècle a largement occultés au profit de la campagne que mena l'homme de lettres pour la réhabilitation du chevalier de La Barre en 1766. En effet, si l'exécution du chevalier était aussi injuste et criminelle que celle de Jean Calas, elle offrait de plus l'avantage de faire de lui un martyr de la libre-pensée.

Voltaire assis, J.-A. Houdon Jean-Antoine HOUDON, Voltaire assis, 1781. Marbre. Hauteur : 1,40 m ; largeur 1,06 m ; profondeur : 80 cm. Comédie-Française, Paris. 

Crédits: The Bridgeman Art Library/ Getty Consulter

1.  Une affaire publique

En 1761, dans la très catholique Toulouse, on découvre, dans la maison du marchand de tissus Jean Calas, le corps pendu de son fils aîné, Marc Antoine. La famille est de confession protestante. On songe d'abord à un suicide, puis à un meurtre. Et on accuse bientôt les Calas d'avoir tué leur fils sur le point d'abjurer. On inculpe le père, Jean Calas, la mère, et Pierre, le fils cadet, et on enterre en grande pompe le jeune Calas dans un cimetière catholique. Dans cette affaire, les capitouls interviennent avec une particulière malveillance, afin de démontrer la culpabilité des accusés. Après que le parlement de Toulouse a cassé un premier arrêt qui condamnait à mort toute la famille, tout en conservant la procédure de l'instruction, Jean Calas, le 10 mars 1762, est publiquement roué, étranglé puis brûlé sur le bûcher. Son fils est condamné au bannissement à perpétuité, tandis que les autres membres de la famille sont acquittés.

Voltaire persifle d'abord en qui il voit « un saint réformé qui voulait faire comme Abraham ». Mieux informé, il finit par comprendre que l'intolérance est au cœur du procès des Calas. Il rencontre la famille, interroge les témoins, et très vite sa conviction est faite : il proclame l'innocence de Calas. Il poursuit sa campagne. Le jugement du parlement de Toulouse est cassé en 1764, et le cas est rejugé. Jean Calas est réhabilité le 9 mars 1765. Voltaire s'engage encore pour que leurs biens soient restitués aux Calas, et que le parlement de Toulouse fasse amende honorable. Il lance même une souscription pour faire graver une estampe de la famille en prison.

2.  La tolérance contre la superstition

D'un déni de justice localisé, Voltaire a fait une affaire nationale portée sur la place publique. Il n'a pas hésité à solliciter les plus hautes instances de l'État et à utiliser toutes les ressources de son esprit et de sa plume. Ses textes au service des Calas constituent ce qu'il appelle lui-même les Pièces originales ; il y ajouta l'Histoire d'Elisabeth Canning et de Jean Calas et, pour donner à sa dénonciation une portée plus universelle, le Traité sur la Tolérance à l'occasion de la mort de Jean Calas.

Le Traité compte vingt-cinq chapitres et un ajout. Il fut considéré par les hommes des Lumières comme un ouvrage capital du philosophe. Ceux-ci y voyaient une attaque en règle contre le clergé catholique et une défense des « libertés de penser ». Aujourd'hui sa lecture ne revêt plus le même sens. Elle insiste sur la tolérance et moins sur le fanatisme et les fanatiques, dont Voltaire retrace pourtant l'histoire. Comme il l'a expliqué, le Traité obéit à une double nécessité : poursuivre l'Essai sur les mœurs, chronique des errances et des progrès de l'humanité, théoriser les malheurs des Calas et le combat mené pour que justice leur soit rendue. Ainsi, il contient des chapitres (II et III) consacrés à l'affaire, puis un texte de 1765 intitulé « Article nouvellement ajouté, dans lequel on rend compte du dernier arrêt rendu en faveur de la famille Calas ». Preuve, si besoin en était, que le combat pour la justice est un élément essentiel du Traité. L'Affaire Calas s'inscrit dans une histoire tragique : celle de la Réforme et des guerres de Religion qui mirent la France au carnage, de toutes les querelles qui opposèrent les ordres monastiques, les jésuites et le clergé séculier, des ravages des conversions forcées, de la violence de l'Église.

À cette suite de massacres, le Traité oppose la tolérance que pratiqueraient Chinois, Japonais, Anglais, quakers et esprits éclairés. Opposée à toute oppression et à toute violence, elle relève de la nature et du droit. Présente dans la religion juive, dans l'enseignement du Christ, elle a existé chez les Grecs et les Romains. Le sage doit donc dénoncer, et ne pas se résigner. La tolérance, nécessairement limitée – pas de tolérance pour les fanatiques –, sera garantie par un sage gouvernement qui contrôlera les Églises et luttera contre les superstitions de la populace, qui troublent l'ordre public. Dans une célèbre prière, Voltaire en appelle à Dieu et à l'humanité pour que la concorde règne enfin entre les hommes.

Le Traité est un texte éminemment voltairien. À la fois de son temps et d'une portée universelle, il mêle les genres, l'histoire, l'argumentation juridique, la démonstration philosophique, la fiction (chap. XVI et XVII), usant des tons les plus divers pour emporter la conviction, le tragique, le pathétique, l'ironie, tout en demeurant didactique. Et il demeure d'une tragique actualité.

Jean Marie GOULEMOT

 



Envoyé de mon Ipad 

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