Fr. Emmanuel Pisani : « Le dialogue fait partie de l'identité de l'islam »
Lauréat du Prix Mohammed Arkoun 2016 de la thèse d'islamologie, le dominicain Emmanuel Pisani explique le sens de son travail sur al-Ghazali, un théologien musulman du XIe siècle qui fait autorité aujourd'hui encore dans l'islam.
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Présidé par Anne-Laure Dupont, maître de conférences à l'Université Paris-Sorbonne, le jury est composé de chercheurs et enseignants-chercheurs. Dominicain du couvent de Montpellier, le fr. Emmanuel Pisani est directeur de l'Institut de science et de théologie des religions (ISTR) de l'Institut catholique de Paris, membre de l'Institut dominicain d'études orientales au Caire.
– Pourquoi avoir choisi d'étudier al-Ghazali, ce théologien musulman du XIe siècle ? Quel est le sens de ce travail pour aujourd'hui ?
- Fr. Emmanuel Pisani : Parfois comparé à saint Thomas d'Aquin, Abu Hamid al-Ghazali (1058-1111) est un auteur incontournable pour tous les courants de l'islam, des Frères musulmans aux soufis en passant par les salafistes, ou même pour les nouveaux penseurs de l'islam. Lu, enseigné, commenté, il fait autorité pour les musulmans encore aujourd'hui. Ce n'est pas un hasard si l'institut de formation de la Grande mosquée de Paris porte son nom.
J'ai voulu interroger sa pensée sous l'angle du rapport à l'autre : je pensais au départ aux juifs et chrétiens, mais j'ai découvert que cette question du non-musulman est interne à l'islam, et même centrale pour al-Ghazali, à une époque où les anathèmes (takfir) étaient courants, contre des penseurs ou même des écoles de pensée.
Qui est musulman ? Qui peut être exclu ? Comment rentrer dans une démarche d'inclusion de l'autre ? Al-Ghazali développe une anthropologie relationnelle, qui fonde une ouverture à l'autre quelles que soient ses croyances, et même son incroyance.
- À travers vous, c'est un dominicain qui reçoit cette année le prix Mohammed Arkoun : est-ce une manière de récompenser l'effort des universités catholiques dans le domaine de l'islamologie ?
- Fr. Emmanuel Pisani : Un peu comme le Persan de Montesquieu, cette casquette me donne sans doute une distance pour découvrir, dans cette œuvre, des choses que d'autres - orientalistes ou musulmans - ne voient plus. Ma double compétence d'enseignant en sciences des religions et de théologien m'a permis de transposer à l'islamologie une question typique de la théologie chrétienne des religions : comment penser l'autre ? J'ai découvert dans l'œuvre d'al-Ghazali un enseignement très fort, qui, sans tomber dans l'anachronisme, répond aux défis d'aujourd'hui.
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Cette double thèse, à la fois en philosophie et en théologie, montre que les cotutelles entre universités d'État et universités privées sont à l'avantage des étudiants - elles leur permettent un travail interdisciplinaire, fructueux - et donc de la science.
- En quoi votre travail peut-il être utile au dialogue islamo-chrétien aujourd'hui ?
- Fr. Emmanuel Pisani : En théologie chrétienne, on réfléchit depuis des décennies sur le fondement de ce dialogue. On entend d'ailleurs souvent les chrétiens dire qu'« ils sont les seuls à vouloir dialoguer », que cela « n'intéresse pas les musulmans »... Ce travail universitaire veut fonder le dialogue du point de vue musulman : il montre que le dialogue fait partie de l'identité de l'islam, à la fois fondé sur le Coran et pensé par les grands théologiens musulmans.
Al-Ghazali va très loin : désireux de retrouver « l'art de converser », il appelle les musulmans à prendre le temps de connaître le livre de l'autre, à rentrer dans ses rites. Ce n'est pas rien quand on sait que certains, aujourd'hui, s'interdisent de rentrer dans une église.
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Recueilli par Anne-Bénédicte Hoffner
JTK
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