Islam et Occident selon Benoît XVI à Ratisbonne et aux Bernardins
C'est après le massacre de 50 fidèles et de 3 prêtres catholiques syriaques dans la cathédrale de Bagdad et après tous les autres crimes perpétrés contre une population chrétienne autochtone terrorisée, que Benoît XVI faisait cette déclaration : « on ne peut pas utiliser la violence au nom de Dieu ! »
Et il ajoutait : « Les religions devraient inciter à un usage correct de la RAISON et promouvoir des valeurs éthiques ».Depuis longtemps, le pape exige nommément la réciprocité dans les rapports musulmans-chrétiens. Mais il insiste surtout pour mettre en évidence le fait qu'un Dieu qui pousse à tuer en son nom ne peut être qu'une idole hostile à tout humanisme.
Ce discours est le prolongement de la brillante démonstration que le pape avait présentée dans l'aula de Ratisbonne en 2006 et dont il a conclu la thématique lors de son allocution aux Bernardins à Paris en 2008. Il y a un lien entre les deux événements, qui développent la même analyse. C'est un fait : Benoît XVI a eu le courage de montrer combien le refus islamique d'associer la raison à sa démarche religieuse fait peser une grave menace sur nos libertés et notre sécurité.
Cela alors que, depuis des décennies, les gardes-fous issus de la civilisation judéo-chrétienne s'effondrent les uns après les autres, ces références attaquées par une culture laïciste qui cible le christianisme, mais ferme complaisamment les yeux sur une islamisation invasive au quotidien.
Pour étayer sa démonstration, à l'Université de Ratisbonne, le pape cite un célèbre passage du 16ème siècle relatant l'entretien entre l'empereur orthodoxe Manuel II Paléologue et un musulman cultivé :
« L'empereur connaissait les dispositions développées et fixées dans le coran à propos de la guerre sainte. Il dit avec rudesse à son interlocuteur musulman : montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu y trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines, comme sa mission de diffuser par l'épée la foi qu'il prêchait ».
Cette citation retirée du contexte de la conférence suscita aussitôt un embrasement inimaginable, dans le monde musulman.
Les médias occidentaux s'en emparèrent avec délectation. Unanimes dans leur fureur, les dirigeants marocain, palestinien, malaisien, iranien, insultèrent le pape, évidemment sans même avoir lu le discours, pas encore traduit ! La rue musulmane explosa de rage, on brûla l'effigie de Benoît XVI, une religieuse dévouée aux autochtones depuis trente ans fut assassinée en Somalie, on incendia plusieurs églises dans les Territoires palestiniens, en Iraq et en Inde.On incendia plusieurs églises dans les Territoires palestiniens, en Iraq et en Inde
Or Benoît XVI donnait dans son exposé historico-théologique une clé de lecture critique générale, avec l'intention de l'appliquer à toutes les religions (christianisme compris) : violenter au nom de Dieu est inacceptable, car Dieu a un lien avec la raison.
Comment poser autrement les bases d'un dialogue entre civilisations qui puisse se fonder sur des relations ouvertes à l'altérité ?
En citant le Paléologue, Benoît XVI voulait rappeler un constat historique indéniable : Mahomet a prêché sa foi par l'épée, il a autant été chef de guerre que chef religieux.
La préoccupation majeure du pape, c'est la situation spirituelle du monde contemporain, en fonction de laquelle il dénonce la vision théocratique de l'islam, concept absolutiste de Dieu qui autorise à violenter au nom du divin. Cette perversion haïssable n'est pas seulement présente dans l'islam ; elle a aussi existé ponctuellement dans le christianisme à certaines époques bien précises, Benoît XVI le reconnaît ouvertement.
Cela dit, il ne faut pas confondre ce qui est conjoncturel avec ce qui est structurel, comme le font souvent les vulgarisateurs médiatiques avec l'équation « religion = violence ». Car la grande différence, entre islam et christianisme c'est que les textes fondateurs musulmans ne disent pas la même chose que les judéo-chrétiens. En islam, le rapport religion-violence est particulièrement imbriqué, et il suffit de lire le coran et les hadiths, mais aussi les biographes musulmans de Mahomet (Mouslim, Boukhari, etc) pour s'en faire une idée précise.
Face à ce dilemme, Benoît XVI affirme avec conviction que si Dieu est entré en relation avec l'être humain doué de raison, la religion ne doit jamais servir de caution et d'alibi à la violence. Pour étayer philosophiquement cette approche, le pape insiste sur la dimension hellénistique de la raison : il estime que si l'on structure la pensée religieuse en lui offrant des outils conceptuels de discernement, on lui évite toutes les déviances.
En effet, une foi authentique ne peut se propager par la violence car elle est le fruit de l'âme, or l'âme est raisonnable, c'est-à-dire capable de réflexion et de dialogue. Dans sa Révélation, Dieu s'est rendu intelligible à l'homme raisonnable, et la raison joue donc son rôle dans la compréhension humaine de la volonté de Dieu et de ses commandements bénéfiques. Le Paléologue, élevé dans la philosophie grecque, dit le pape, proclame le lien entre la raison et la foi dans le but de contester formellement la démarche islamique et ses penchants belliqueux.
C'est bien ce que confirme El Tayeb Houdaïfa, chroniqueur de La vie Eco, lorsqu'il écrit que la période islamique du 7ème siècle fut « trop préoccupée par les conquêtes d'expansion militaire et pas assez par l'usage de la raison ». Il y eut aussi des assassinats successifs pour la succession dynastique de Mahomet (Omar, Othman, Ali). C'est ce qui a donné lieu à la rivalité séculaire entre sunnites et chiites, qui s'affirme de plus en plus dans l'axe Iran-Liban. El Tayeb Houdaïfa enfonce le clou : « l'après-prophète s'illustra plus par l'empire de la déraison que par le gouvernement de la raison »
Une chance nouvelle de profonde réforme apparut, lorsqu'aux 8ème et 9ème s. les arabes firent traduire dans leur langue les œuvres des philosophes grecs qu'ils venaient de découvrir par leur conquête. Comme ils ne connaissaient pas le grec, ce sont les juifs lettrés et les savants chrétiens – nestoriens en particulier – qui réalisèrent pour eux ces traductions grâce au syriaque.
De ce fait, la popularisation des œuvres grecques en milieu arabo-musulman suscita rapidement la première école théologique islamique importante, celle des mutazilites – avec Wasil ibn Ata, fondateur du kalam, la théologie spéculative. Les mutazilites prirent très au sérieux la logique de la raison dans le domaine de la foi en Dieu. Et cette posture « éclairée » allait avoir des conséquences considérables sur la foi musulmane elle-même, car pour l'école de pensée mutazilite imprégnée de raisonnement philosophique, la justice divine exigeait nécessairement la libre volonté humaine. En effet, si l'individu n'avait pas de libre arbitre et qu'il était sans cesse prédestiné ou téléguidé par Allah dans le bien comme dans le mal, récompense et punition n'avaient plus de sens et aucune éthique n'était possible.
Intellectuellement attractive, la théologie mutazilite fut établie comme doctrine officielle par le calife Al Mamun (814-833), mais une opposition farouche fit rapidement chuter cette démarche philosophique trop inspirée des Grecs. Pour contrer cette pacification de la religion mahométane, Al Achari développa une ligne dure attribuant tout à Allah et rendant la raison de l'homme inopérante. Puisque l'individu est prédestiné dans ses moindres faits et gestes, c'est le mektoub qui régit tout selon le bon plaisir d'Allah, cette croyance doctrinale est toujours officielle encore de nos jours.
Au 11ème et 12ème s. Al Farabi et Al Kindi furent des penseurs musulmans développant l'idée d'une liberté éclairée par la raison, mais Ghazali leur adversaire réagit par un ouvrage intitulé « Destruction des philosophes ».
Même Averroes, un siècle plus tard, se retrouvait disqualifié au nom même de ce reflux vers un islam dur des origines. (Signalons au passage qu'Averroès si facilement présenté comme un grand esprit humaniste et libéral, fut l'auteur d'un terrible traité du djihad contre les non-musulmans, dans lequel il demandait au pouvoir islamique de ne manifester aucune sorte de tolérance envers les juifs et les chrétiens, afin de garantir la suprématie de l'islam).Averroes demandait au pouvoir islamique de ne manifester aucune sorte de tolérance envers les juifs et les chrétiens
Dès lors, l'étau se refermait – jusqu'à nos jours – avec le redressement doctrinal opéré par Ghazali, freinant toute investigation philosophique en islam. C'est ce que l'on appelle la « fermeture des portes de l'ijtihad ».
Mais dans la même période, (au 11ème siècle), un autre théologien musulman célèbre refusait lui aussi fermement toute ouverture vers la raison, il rejetait toute influence philosophique grecque. C'est Ibn Hazm, que Benoît XVI a présenté explicitement dans son discours de Ratisbonne : pour ce juriste, Allah est pure transcendance sans aucun lien avec la raison humaine ni avec la vérité.
Les décrets d'Allah peuvent donc être totalement arbitraires et il peut être demandé au croyant de tuer son semblable pour la cause religieuse sans chercher à comprendre pourquoi. En Andalousie – au 11ème siècle – alors que les royaumes musulmans se séparaient, Ibn Hazm, fidèle au dernier calife de Cordoue, remettait en lumière les comportements fondateurs du prophète de l'islam à Médine, phase belliqueuse succédant à la phase pacifique initiale.
L'idée était bel et bien de revenir à l'islam pur et dur du temps du prophète, considéré comme âge d'or de l'islam ; c'est le salafisme, courant musulman radicalisé qui a le vent en poupe partout aujourd'hui.
Dans la même logique, Ibn Hazm préconisait la lecture littérale du coran, c'est l'école zahirite, (le zahir = sens apparent). Tout lecteur du coran qui doute, ne serait-ce que d'une seule lettre, est kafir, incroyant, infidèle. Le kufr, c'est l'impiété, punie de persécution en ce monde et de l'enfer dans l'autre. C'est dans cet esprit que des musulmans convaincus s'autorisent à tuer des musulmans qu'ils estiment tièdes par rapport aux impératifs coraniques !
L'islam, pour Ibn Hazm, est littéralement un acte de « soumission » totale y compris dans la lecture du texte. Par conséquent, les 114 sourates du coran sont – telles quelles – parole d'Allah venue d'en haut et incarnée dans un livre, l'injonction divine est par conséquent manifeste et sa vérité ne peut être contestée ou critiquée. Le coran ne recèle donc aucun sens caché, comme le prétendent les soufis, considérés par l'islam officiel comme une secte ésotérique et hérétique.
Sous peine de blasphème puni de mort, les « impies » ne peuvent toucher ni à l'esprit ni à la lettre du coran.
Ibn Hazm, nommément cité par Benoît XVI dans son propos, en formulant le fait que la loi d'Allah est intangible, place celle-ci hors du temps et de l'histoire humaine. Ce qui a fait de lui en quelque sorte le théoricien de base du fondamentalisme islamique.
Il est assez paradoxal de remarquer que Ibn Hazm donnait cette impulsion de repli à l'islam, en lui imposant une pensée unique alors même que – à l'inverse – se développaient précisément en Europe chrétienne les premières grandes universités occidentales. Elles constituaient un lieu d'érudition où l'on pouvait discuter et mener des disputationes contradictoires, où l'on s'exerçait à confronter des arguments et avancer des hypothèses multiples de compréhension des connaissances.
Mais de par sa posture, Ibn Hazm est devenu en même temps l'un des théoriciens du djihad, en tant que guerre d'expansion de l'islam, et cela, dans la fidélité aux opérations guerrières des origines, c'est à dire la conquête obligatoire des territoires infidèles s'accompagnant du traitement impitoyable des non musulmans, les dhimmi, comme le préconise le coran. Les juifs et les chrétiens ont un statut inférieur.
Autre aspect particulier d'Ibn Hazm, son antisémitisme virulent. Le légiste musulman était engagé à fond dans la polémique antijuive et antichrétienne. Il martelait dans son traité Al Fisal l'intolérance absolue envers la catégorie coraniquement dénommée les « gens du Livre », Ahl al Kittab, avec de multiples imprécations contre la Torah désignée comme une fiction mensongère. Il maudissait même tout musulman qui vivrait en bonne intelligence avec des juifs ou des chrétiens, considérés par le coran comme falsificateurs de la révélation divine.
Suite au discours du pape, le recteur Boubakeur de la mosquée de Paris chercha aussitôt à minimiser la représentativité de Ibn Hazm, mais il est cependant aisé de constater que les vues du penseur musulman du 11° s. sont absolument identiques à celles prônées aujourd'hui par la majorité des organisations islamiques alignées sur l'option salafiste du retour aux origines.
Des penseurs musulmans influents plus récents, comme Abd el Wahab, initiateur du wahabisme saoudien, puis l'égyptien Qutb et l'indien Madowdi, furent les fils spirituels actualisateurs – pour notre époque – de cette conception religieuse radicale, et redoutable pour les dhimmi que nous sommes. La mouvance puissante des « Frères musulmans » s'inscrit dans la même ligne.
Ce n'est donc pas par hasard que Benoît XVI prenait le soin de relever la position d'Ibn Hazm dans son analyse, vu tout ce qui en découle sur le terrain géopolitique et interreligieux.
Pour le pape, le Dieu de la Bible, contrairement au dieu du coran, est un Dieu de l'alliance, un Dieu ami des hommes, entré en relation avec le peuple des croyants non pour faire peser sur lui des observances mais par amour.
Dieu est père de son peuple et de chacun de ses membres. Or, le mot amour n'existe pas dans le coran et le mot tuer y est plus présent que le mot prier. L'esprit du coran s'oppose frontalement aux croyances bibliques des chrétiens. Considérer Dieu comme père est une abomination. Il n'y a pas de péché, donc pas de rédemption, et Jésus n'est pas mort en croix. Les hadiths précisent même que Issa (Jésus, prophète de l'islam) reviendra à la fin des temps pour « briser les croix et tuer les porcs »…
Dans son discours, le pape fait remarquer que la théologie judéo-chrétienne bénéficie de l'outil grec de la pensée, c'est pour souligner expressément que la raison entre en ligne de compte dans l'expression de la foi, telle qu'issue de la bible hébraïque. Le pape refuse donc que l'on propose une foi biblique déconnectée de la raison, y compris dans les parties du monde où règnent d'autres cultures ; rien ne serait pire qu'une foi exemptée de sa dimension grecque de rationalité et de sa dimension juive de spiritualité.
Pour Benoît XVI, il convient de ne pas déshelléniser la réflexion chrétienne, comme il convient de ne pas déjudaïser la foi en amputant sa spiritualité de l'ancien testament.Pour Benoît XVI, il convient de ne pas déshelléniser la réflexion chrétienne
Le discours de Ratisbonne nous pose ainsi des questions salutaires sur la religion dans le monde actuel. En réaffirmant qu'on ne peut pas dire ou faire n'importe quoi « au nom de Dieu », Benoît XVI oriente son propos vers les dangers grandissants du fanatisme religieux, et il rassure en même temps les tenants de la laïcité sur le fait que la religion bien comprise ne peut pas être déraisonnable, même si elle n'a pas à se laisser enfermer dans les limites du rationnel.
Certains diront qu'il faut distinguer entre islam et islamisme. Selon eux, l'islamisme n'a rien à voir avec l'islam vrai, religion de paix et d'amour, religion tolérante et créatrice. Le radicalisme islamique ne serait qu'une perversion du véritable islam. C'est la fameuse distinction entre fanatiques et modérés, mais le problème, c'est que l'islam en lui-même – dès ses premiers pas – n'est pas modéré, et il n'y a qu'une différence de degré et non pas de nature entre radicaux et modérés. Il est un fait incontournable que les arguments des terroristes musulmans s'alimentent au coran lui-même.
On voit bien pour quels enjeux Benoît XVI a dénoncé une foi qui exclut la raison, tout en montrant les limites d'une raison qui exclurait la foi.
Cette réflexion nous indique que le dialogue interreligieux a vraiment plus besoin de lucidité que d'angélisme. Il mérite surtout une réciprocité, élément qui fait souvent défaut, car l'islam s'affirme toujours sûr de sa vérité, à part quelques exceptions peu représentatives ; il n'est donc pas demandeur de dialogue parce que constitutivement il ne reconnaît pas l'altérité.Le dialogue interreligieux a vraiment plus besoin de lucidité que d'angélisme
La réflexion de Benoît XVI se poursuit sur le même terrain dans le discours des Bernardins à Paris, suite logique du discours de Ratisbonne. Voici ce que déclarait Benoît XVI exactement un an avant sa visite en France, lorsqu'en septembre 2007 déjà, il manifestait son souci de développer le lien indispensable entre foi et raison, comme témoignage rendu à l'histoire et comme avertissement face aux défis d'aujourd'hui.
« Fait aussi partie de l'héritage européen une tradition de pensée pour laquelle un lien substantiel entre foi, vérité et raison est essentiel.
Il s'agit de se demander si la raison est oui ou non au principe de toutes choses et à leur fondement. Il s'agit de se demander si le hasard et la nécessité sont à l'origine de la réalité, si donc la raison est un produit secondaire fortuit de l'irrationnel, et si dans l'océan de l'irrationalité en fin de compte elle n'a aucun sens ou si au contraire ce qui constitue la conviction de fond de la foi chrétienne demeure vrai ».
Et le pape ajoute :
« Permettez-moi de citer Jürgen Habermas.
Par l'autoconscience normative du temps moderne, le christianisme n'a pas été seulement un catalyseur. L'universalisme égalitaire, dont sont nées les idées de liberté et de solidarité, est un héritage immédiat de la justice juive et de l'éthique chrétienne de l'amour.
Inchangé dans sa substance, cet héritage a toujours été de nouveau approprié de façon critique et de nouveau interprété. Jusqu'à aujourd'hui il n'existe pas d'alternative à cela ».
Pour Benoît XVI, les origines de la théologie occidentale et les racines de la culture européenne sont exactement les mêmes.
A partir de ce que les moines ont vécu il y a mille ans dans des lieux comme les Bernardins, Benoît XVI invitait son auditoire composé de scientifiques, de philosophes, d'artistes, de religieux, à retrouver un modèle d'humanisme intégral.
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Le discours des Bernardins analyse la devise monastique ora et labora, prie et travaille.
Le moine cherche Dieu dans sa Parole. Là réside la source des lettres, des arts, de la philosophie et de la théologie. C'est ce qui a construit la civilisation européenne.
Autre développement de la culture liée à la Parole : la musique. Art spirituel par excellence, le chant et la musique sont une forme de dialogue avec la Parole de Dieu car la musique fait transparaître par sa beauté l'image de Dieu en l'homme.
L'exemple des moines, dit le pape, démontre que la créativité de la foi procède d'une interprétation de cette Parole vivante qui structure leur existence.
Cette dynamique favorise l'accueil du Christ ; puisque l'homme ne s'enferme pas dans une culture intellectuelle, il entre en même temps dans une culture des arts concrets ; cultiver, construire…C'est justement ce que les moines ont réalisé de bien des manières au cours des siècles.
Ils ont montré que l'art, fruit du travail, n'est pas un moyen pour l'homme de se créer sans Dieu, mais d'achever avec lui la création en cours. Se couper du lien avec le créateur peut aboutir à la destruction de l'humain et à l'effondrement de nos sociétés.
Le fil rouge de cette réflexion est biblique, aussi le pape insiste-t-il au passage sur la filiation chrétienne vis-à-vis de la tradition juive. Les moines ont hérité des rabbins et des connaisseurs de la Bible la valeur du travail manuel. Sans cette culture du travail combinée avec la culture de l'esprit et du cœur, l'Europe n'existerait pas, et elle se détruirait si elle s'écartait de cet humanisme-là.
L'ouverture de la raison humaine aux plus hautes valeurs spirituelles a besoin de l'annonce explicite de la Parole. Lorsque Paul annonçait l'évangile aux Grecs cultivés, ce n'était pas pour remplacer leur patrimoine culturel, mais pour l'ouvrir dans le Christ à l'universel auquel ils aspiraient.
Benoît XVI a ainsi montré combien les ressources spirituelles étaient la garantie d'une vie personnelle et sociale réussie : il a dénoncé par là l'impasse du relativisme et du subjectivisme omniprésents qui dérivent vers le nihilisme.
Et surtout, sans jamais prononcer une seule fois le mot islam, pour éviter les polémiques et les débordements que l'on sait, Benoît XVI a prolongé et renforcé – dans la marge de son texte – la mise en garde de Ratisbonne :
Dans la sunna, il existe un hadith qui avertit : « pas de monachisme en islam ! ». Or, aux Bernardins, le pape a mis fortement en valeur l'immense apport historique des moines à la civilisation occidentale au cours des siècles. Ils ont défriché les esprits autant que les espaces.
Mahomet avait proscrit la musique et la poésie qu'il détestait, comme faisant obstacle à la parole d'Allah. Or, le pape a mis en évidence la créativité artistique du chant, de la musique, en lien avec la Parole de Dieu. Il a montré aussi toute la richesse de la démarche scientifique qui y puise son élan créateur de connaissance. (Nous aurions tendance à oublier que les monastères ont aussi été des laboratoires de recherche. Un petit exemple, le moine hongrois Mendel, considéré comme l'initiateur de la génétique moderne).
Pour les savants islamiques, les commentaires du Coran sont autorisés, mais l'interprétation du texte sacralisé est interdite. Commenter : oui, interpréter : non !
A ce propos, le pape rappelle que le christianisme – comme le judaïsme dont il est issu – n'est pas une religion du Livre, mais une religion de la Parole vivante. Parole humaine inspirée par Dieu et que l'on peut donc analyser, discuter, interpréter, sans commettre de sacrilège. Ce qui exclut le fondamentalisme littéraliste et ses dérives dangereuses ; belle illustration de la phrase de Paul : « la lettre peut tuer, seul l'Esprit vivifie ! »
Enfin, on peut dire que Benoît XVI souhaite les échanges interreligieux, mais à la condition expresse que ce soit sur des bases claires ! Sa présentation récuse les clichés politiquement corrects à la mode parlant du judaïsme, du christianisme et de l'islam indistinctement, comme des religions abrahamiques, des religions du livre, ou l'amalgame indifférencié entre les 3 religions monothéistes…
L'idéologie égalitariste et laïque du « toutes les religions se valent » ne tient plus, face à une réflexion de cette profondeur, où la prise en compte clairvoyante du passé nous permet de mieux nous situer pour assumer l'avenir.
Et Benoît XVI a exposé tout cela, sans une égratignure à la véritable laïcité, c'est à dire un vivre ensemble respectueux, dans la pluralité des appartenances.
C'est le défi qu'a magistralement, magnifiquement relevé le pape à Ratisbonne puis à Paris, en guise d'avertissement et de clé de lecture pour notre époque. Il a été ainsi une des rares personnalités internationales capables de désigner les menaces réelles et de montrer les voies de survie à nos sociétés en crise de valeurs.
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez pour Dreuz.info.
Tags: djihad, islam
Jtk
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