Daech a été clair sur sa stratégie : détruire la "zone grise", disloquer nos sociétés cosmopolites où se côtoient paisiblement musulmans et non-musulmans.
PAR MARIE-SANDRINE SGHERRI
Modifié le - Publié le | Le Point.fr
Interrogé par L'Express après l'attaque d'une église à Saint-Étienne-du-Rouvray, le délégué chargé des relations interreligieuses pour le diocèse de Lyon, Christian Delorme, appelle à la solidarité entre musulmans et non-musulmans : « Il faut que chacun ait conscience que ceux qui se réclament du groupe État islamique souhaitent le chaos, la guerre civile. En aucun cas il ne faut leur faire ce cadeau-là, affirme le prélat. Aujourd'hui, nous ne nous en sortirons qu'en étant ensemble, musulmans et non-musulmans. Notre salut viendra de notre solidarité avec la communauté musulmane qui est, elle aussi, une victime de toute cette barbarie. » Propos classique dans la bouche d'un homme d'Église, mais qui pèche sans doute par angélisme ? Pas seulement.
L'organisation autoproclamée État islamique a largement annoncé et disserté sur son objectif : détruire « la zone grise » (gray zone). Une zone grise, c'est une zone entre-deux, ni blanche ni noire, mais où l'on se mélange. Clairement, il s'agit de disloquer nos sociétés cosmopolites où musulmans et non-musulmans vivent ensemble paisiblement. C'est ce que rappelait Slate en soulignant le choix des cibles des djihadistes après les attentats de novembre. En France, d'abord Charlie Hebdo, soit la quintessence d'un « esprit français » qui tapait indistinctement sur toutes les religions, puis le 13 novembre, les bars de quartiers branchés et populaires de la capitale. S'y ajoute à Nice la promenade des Anglais, noire de monde, où près de la moitié des victimes étaient de nationalité étrangère et 30 % franco-tunisiennes.
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Rendre toute coexistence impossible
À Saint-Étienne-du-Rouvray, la petite paroisse visée ce mardi matin est située non loin d'une mosquée et des liens avaient été tissés entre les deux lieux de culte. « Nous faisons partie d'un « comité interconfessionnel depuis dix-huit mois. Nous discutions de religion et de savoir-vivre ensemble », explique l'imam Mohammed Karabila. Une mosquée particulièrement « grise » si l'on reprend la terminologie de Daech : c'est ici qu'avait eu lieu une cérémonie funèbre en mémoire d'Imad Ibn Ziaten, le parachutiste de 30 ans tué le 11 mars 2012 à Toulouse par Mohamed Merah. Musulman, certes, mais combattant les talibans en Afghanistan et donc passé, aux yeux des djihadistes, dans le camp du « mal ».
Dans le magazine Dabiq, la revue de l'EI, un document cité après les attentats de Paris par The Daily Beast explique par le menu ce qu'il faut entendre par « the gray zone » : il s'agit de la « zone claire obscure où se situe la majorité des musulmans entre le bien et le mal, le califat et les infidèles. » Objectif : rendre toute coexistence impossible, diviser le monde « en noir et blanc », entre « croisés » et « musulmans ». Le document rappelle que c'était déjà l'objectif de Ben Laden le 11 septembre 2001 lorsqu'il a ciblé les tours du World Trade Center, un centre financier, certes, mais aussi le symbole de la ville cosmopolite par excellence qu'est New York. D'ailleurs, les 2 977 victimes des attaques du 11 septembre étaient de 310 nationalités différentes. Plus frappant, Dabiq, développant ses thèses, citait George W Bush : il « disait vrai quand il déclarait vous êtes avec nous ou avec les terroristes». « Maintenant, concluait le magazine, le moment est venu pour un nouvel événement propre à semer la division dans le monde et à détruire la zone grise. »
C'est aussi pour cela que les messages haineux, racistes ou islamophobes font tout simplement le jeu des terroristes, qui ont trouvé encore aujourd'hui leurs meilleurs alliés chez tous les « croisés » de la fachosphère. Il ne s'agit pas ici d'angélisme, mais de la stratégie à adopter face à celle de l'ennemi : ce fameux vivre-ensemble tellement moqué, mais que réclame Christian Delorme.
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