mardi 5 avril 2016

Livres : plongée dans l'Islamistan - Le Point

Livres : plongée dans l'Islamistan - Le Point

Livres : plongée dans l'Islamistan

À Tours en 2010. Du Caire à Paris, en passant par Téhéran ou Istanbul, Claude Guibal décortique le mimétisme, la pression sociale et la montée du salafisme « politique ». 
Islamistan par Claude Guibal, une journaliste qui sillonne le Moyen-Orient depuis 20 ans. © Stock

Claude Guibal n'appartient pas à cette nouvelle caste d'analyste ès-djihad dont les chaînes télé d'information en continu sont friandes. Cela fait vingt ans qu'elle sillonne le Moyen-Orient et qu'elle en ramène (pour Radio France) de magnifiques reportages, des histoires concrètes et des portraits qui permettent de mieux comprendre ce qui s'y passe. Avec Islamistan, elle ne s'est pas transformée en analyste de salon. Elle a repris ses cahiers de notes pour raconter à travers des portraits et des rencontres le phénomène de radicalisation. Elle décrit ainsi très concrètement comment les femmes des rues du Caire se sont petit à petit voilées dans des quartiers où, vingt ans auparavant, on ne croisait pas un niqab. Elle emmène le lecteur à Téhéran, à Paris ou à Istanbul pour comprendre « les » radicalismes.

Elle décortique le mimétisme, la pression sociale, la montée du salafisme « politique ». Mais sans jamais pontifier. Et c'est justement le grand mérite de son livre : sans jamais excuser, sans aucune empathie, Claude Guibal retranscrit ces paroles que l'Occident n'a pas pris suffisamment le temps d'écouter jusqu'à les prendre aujourd'hui en pleine figure.

Samar, Rania et les autres...

Parmi les bijoux que l'on trouve dans Islamistan, cette rencontre avec Samar, une Égyptienne portant le niqab dans un club très huppé du Caire (son mari, Égyptien lui aussi, a fait fortune en Arabie saoudite) qui justifie le wahhabisme et accepte que son mari la tienne cloîtrée. Autre personnage : Rania, qui met le voile par mimétisme avec les femmes de son quartier avant de l'enlever parce qu'elle se sent mieux sans. Belle rencontre aussi dans une famille saoudienne où trois générations de femmes saoudiennes montrent que, malgré tout, les choses bougent un peu, surtout grâce à l'éducation.

Dans cette galerie de portraits qui permet de mieux s'y retrouver dans la nébuleuse du Islamistan, il y a aussi la cheikha Safaa Rifai, véritable femme d'affaires, qui a créé une chaîne de télé exclusivement pour les femmes (les présentatrices sont intégralement voilées). Cet ancien détenu de Guantánamo revenu en France après sa libération qui fait aujourd'hui de la déradicalisation auprès de jeunes Français qui souhaitent partir en Syrie et confie que c'est à « Gitmo » (le surnom de Guantánamo) qu'il a véritablement découvert le Coran et la sagesse. Pas quand il était en Afghanistan où il n'avait que la rage au cœur.

La bataille du Net

Grâce à ces portraits mis en scène avec finesse, Guibal décortique le succès des sites salafistes et de Daech sur Internet, où la religion n'est finalement qu'un faux nez pour justifier toutes les horreurs sur des personnalités faibles et surtout mal informées. Elle raconte ainsi comment Daech a mis au point un discours spécifique vis-à-vis des délinquants européens en leur promettant le salut par le djihad. Elle se penche aussi sur un site internet – IslamOnline – où l'on trouve les pires tribunes complotistes à côté de questions tout à fait basiques et légitimes sur l'islam. Et c'est sans doute sur ce dernier point que le livre de Claude Guibal est le plus lumineux. C'est en créant des outils fiables, séduisants et intellectuellement stimulants que les musulmans qui refusent « l'islamistan » ont une belle bataille à mener.

Claude Guibal. Islamistan. Visages du radicalisme. Stock. 18 euros. 215 pages.


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