dimanche 26 avril 2015

La figure du Prophète-combattant dans les textes de l'Islam classique, VIIIe-Xe siècle - Les clés du Moyen-Orient

La figure du Prophète-combattant dans les textes de l'Islam classique, VIIIe-Xe siècle - Les clés du Moyen-Orient

Après avoir reçu les premières sourates transmises par l'ange Gabriel (« Jibrīl » en arabe) Muḥammad prêche à La Mecque un retour à la religion d'Abraham et forme autour de lui une nouvelle communauté de « Croyants » [4] Face aux persécutions répétées des Mecquois et notamment des Quraysh, il décide en 1/622 [5] de partir avec eux à Médine, où il trouve une partie de la population prête à les accueillir, les anṣār [6]. Les Croyants quittant La Mecque sont appelés les muhājirūn [7]. C'est l'Hégire, l'épisode qui sert de référence au calendrier musulman. Muḥammad reçoit alors l'autorisation de combattre les polythéistes, c'est le début d'une longue série d'expéditions et de batailles qui se solde par la conquête de La Mecque.
À la fois prophète et combattant, Muḥammad fait triompher l'Islam et met un terme à la Jāhiliyya [8] dans la péninsule une légende fondée sur l'histoire. Le Prophète devient le héros d'une véritable épopée, une figure à la fois historique et légendaire, ainsi que l'objet d'un culte qui s'intensifie avec le renversement des Omeyyades par les Abbassides [9] en 128/750. À la fois perçu dans les textes comme un guérisseur, un faiseur de miracles, un législateur et un combattant, Muḥammad est une figure en perpétuelle évolution jusqu'à aujourd'hui. Ce dernier attribut qui fait l'objet de polémiques récurrentes doit avant tout être compris comme une construction littéraire et anthropologique,

Guerre et prédication prophétique

La mission prophétique
La guerre et la foi forment un couple indissociable dans l'épopée de Muḥammad. Après l'Hégire, le Prophète reçoit la neuvième sourate qui accorde aux Croyants le droit de prendre les armes : « [Déclaration de guerre aux Non-Musulmans. Condamnation du Judaïsme et du Christianisme.] Combattez ceux qui ne croient point en Allāh ni au Dernier Jour, [qui] ne déclarent pas illicite ce qu'Allāh et son Apôtre ont déclaré illicite, [qui] ne pratiquent point la religion de Vérité, parmi ceux ayant reçu l'Écriture ! [Combattez-les] jusqu'à ce qu'ils payent la jizya [10], directement (?) et alors qu'ils sont humiliés. » [11]
On retrouve également ce type d'injonction dans les sources narratives : « Et combattez-les jusqu'à la fin des persécutions, et jusqu'à ce que la religion soit toute entière pour Dieu » Ṭabarī, The History of Ṭabarī. Volume VI. Muḥammad at Mecca, Albany, State University of New York Press, 1988, vol. 1988, p. 137.
Muḥammad doit prendre les armes pour défendre les Croyants des persécutions, mais aussi mettre fin au paganisme en Arabie. La religion doit être « toute entière pour Dieu », c'est-à-dire tournée vers le Dieu unique. Avec le deuxième pacte de ʿAqabah où les Croyants prêtent serment de combattre pour servir l'Islam et son prophète, la guerre devient un moyen légitime de convertir les populations et d'étendre la communauté. Les razzias, ces expéditions rapides qui existaient dans l'Antiquité et dont le but premier était de faire du butin, deviennent des entreprises religieuses. Le Croyant devient ainsi un guerrier dont le combat prolonge la mission prophétique. Les paroles du Prophète confortent cette idéologie dans les textes : « Ô Dieu, punis les incroyants parmi le peuple » [12].
Comme l'a rappelé Alfred Morabia, les historiens orientalistes se sont demandés si la mission prophétique de Muḥammad était originellement limitée à l'Arabie, ou si l'expansion de l'Islam avait dès le début une portée universelle et œcuménique. S'il est impossible de connaître les intentions du Prophète, ce motif est semble-t-il invoqué bien après, à l'époque abbasside. La prophétie de l'expansion universelle de l'Islam serait venue en rétrospective, afin de justifier les conquêtes des califes. En effet, les lettres envoyées à l'empereur byzantin Héraclius, au Khusraw (roi) de Perse et au Négus d'Abyssinie sont toutes apocryphes et semblent confirmer cette hypothèse.

Le jihād : une conception singulière du combat et de la religion
La notion de jihād est régulièrement invoquée pour décrire le mouvement de conquête des débuts de l'Islam, du temps du Prophète et de ses successeurs les rāshidūn [13]. Le jihād est effectivement une idée clef dans l'épopée de Muḥammad, le mot est repris aujourd'hui dans les médias et souvent traduit par le terme « guerre sainte ». Cette traduction étant désormais galvaudée, certains historiens choisissent de traduire tout simplement le mot « jihād » par « effort » pour en respecter l'étymologie [14]. Le terme est effectivement polysémique et contient une définition spirituelle liée au combat des passions de l'âme qui existait déjà avant l'Islam. On retiendra plus généralement une idée de dépassement de soi. À l'époque médiévale, le « jihād » du combattant peut ainsi être associé à un effort de guerre au nom de la mission que le Prophète a confié aux Croyants. De manière plus neutre, on traduira par « combat sacré » selon l'expression d'Alfred Morabia [15], mais ce n'est qu'un aspect parmi d'autres du lien qui unit la guerre et le sacré dans l'Islam [16].

Contrairement à la définition qu'on en donne habituellement, le jihād n'est absolument pas un effort individuel mais collectif, encadré par la Révélation. En relisant la neuvième sourate, on peut constater que la guerre concerne ceux qui ne croient pas au « Dernier Jour », c'est-à-dire les polythéistes. Le jihād est d'abord dirigé contre le paganisme, les juifs et les chrétiens pour leur part sont « condamnés » à payer un impôt de capitation contre protection, la jizya [17]. Muḥammad semble plus clément pour ceux qu'il nomme les « gens du Livre » (les juifs et les chrétiens), leur réservant le statut de dhimmī ou « protégé » du droit musulman [18], ce statut est dénié aux polythéistes. Le droit habituel de la guerre leur est d'ailleurs refusé [19] et ils ont l'obligation de se convertir. Le jihād passe ainsi par la destruction des idoles païennes et un renouvellement de l'espace sacré. Après la prise de La Mecque et la victoire contre les Qurayshs, Muḥammad envoie Khālid ibn al-Wālid en expédition détruire l'idole d'al-'Uzzā I [20], condition sine qua non de leur conversion à l'Islam. On trouve néanmoins plusieurs épisodes violents contre les « gens du Livre », les juifs sont accusés d'avoir falsifié la Révélation puis d'avoir trahi le Prophète malgré la signature du pacte de protection. Une des tribus juive de Médine, la tribu des Banū Qurayza est massacrée pour s'être retournée contre les musulmans à la bataille du Fossé (5/627) [21]. Les chrétiens sont également accusés d'avoir modifié la Révélation et d'associer Dieu à des images dans le dogme de la Trinité.
Au nom du jihād contre les ennemis de la foi, Muḥammad lance ainsi des appels au martyre. Le martyre est présenté comme un honneur et même dans certains cas comme un devoir, et le martyr est perçu comme un véritable héros. La martyrologie tient d'ailleurs une part importante dans la construction politique de la société de l'Islam classique et fournit un recueil d'exemple aux musulmans, sur le modèle des bioi grecques ou des vitae plus tardives. Chez Bukhārī, célèbre compilateurs de ḥadīth-s, le Prophète prétend désirer lui-même le martyre au combat : « Chapitre VII. — Du fait de souhaiter le martyre. 1. Abu-Huraïra a dit : « J'ai entendu le Prophète dire : ''(…) J'aimerais à être tué au jihād, puis à être rappelé à la vie, et tué encore, puis encore rappelé à la vie, et encore tué.'' » [22]
Le ḥadīth de Bukhārī est typique de la littérature exemplaire musulmane, le Prophète se présente comme un éventuel martyr, ses paroles montrant aux combattants le chemin à suivre. La douleur physique et le sacrifice du corps, des thèmes déjà présents dans l'herméneutique chrétienne, sont réactualisés par l'Islam et garantissent l'accès au Paradis. Le jardin céleste est une puissante motivation pour le combattant, et le martyre est perçu comme un cadeau de Dieu. Le Coran promet d'ailleurs le paradis comme récompense au martyr [23], et Muḥammad l'encourage à plusieurs reprises dans les textes. À Uḥud, al-Muzannī répond à l'appel du Prophète pour repousser les ennemis qui les encerclent. Muḥammad lui dit alors : « Lève-toi et réjouis-toi du Paradis » [24].
Après s'être jeté dans la mêlée, al-Muzannī repousse l'avancée ennemie et meurt de vingt coups de lances. Ainsi Allāh « honore » du martyre les combattants [25], la récompense reçue étant plus grande que le sacrifice. Si les textes donnent à voir une conception radicale de la guerre, on se rappellera que ce sont avant tout des représentations mentales et non des faits historiquement avérés.

Une figure de combattant épique

Le Prophète sur le champ de bataille
Dans l'épopée, le héros est le personnage principal qui par ses exploits parvient à réaliser la quête lui a été assignée. De ce point de vue, il est assez aisé d'identifier Muḥammad comme le héros des maghāzī. La sīra d'Ibn Isḥāq a longtemps été perçue par les orientalistes comme une œuvre biographique, ce qui a été partiellement réfuté par Abdesselam Cheddadi [26]. Néanmoins, la narration reste centrée sur le Prophète et ses expéditions, il est sans aucun doute le personnage principal du récit. Lors des grandes batailles de l'Islam, son action détermine la tournure des événements et de la narration chez Ibn Isḥāq, mais aussi chez ses successeurs comme Wāqidī, Ṭabarī ou Balādhurī. À Badr (2/624) [27], à Uḥud (3/625) [28] ou lors du siège de La Mecque (8/630) [29], Muḥammad est systématiquement au centre du combat, donnant des ordres, encourageant les troupes et commentant le déroulement de l'action. Lors de ces grands moments, le Prophète est soutenu par ses Compagnons qui l'épaulent au combat. On citera à ce titre ʿAlī, un personnage tout aussi important que le Prophète pour les musulmans shīʿites, mais aussi Khalīd ou le futur calife ʿUmar, tous de grandes figures des débuts de l'Islam. Les batailles sont marquées par des temps forts : les duels. En effet à l'époque médiévale, la bataille est représentée par une succession de combats en face à face, ce qui intensifie le caractère épique des récits. Le duel est l'occasion de mettre en lumière les qualités individuelles du personnage : l'honneur, le courage et l'habilité au combat. Ces qualités constituent un héritage universel de l'Antiquité, Achille dans L'Illiade ou Rustam, héros de l'épopée antique perse, se battent en duel et sont décrits de manière similaire. On en trouve les traces dans les Poèmes suspendus [30], attribués aux chevaliers-poètes de la Jāhiliyya. On peut prendre comme exemple le duel de Uḥud Muḥammad à Uḥud contre Ubay ibn Khalaf, qu'il tue d'un geste exceptionnellement rapide [31]. L'image du Prophète comme combattant idéal parcourt ainsi toute la littérature des débuts de l'Islam et on peut apercevoir les prémices d'un culte voué à sa personne et à ses reliques.

Les sept épées légendaires
Les listes détaillées des armes et des possessions du Prophète sont des éléments constants des maghāzī, elles nous révèlent l'aspect princier du personnage visuellement proche des califes abbassides. À Uḥud toujours, il porte ainsi deux cottes de mailles l'une sur l'autre ainsi que deux épées à la ceinture. Une fois armé, la bataille ne peut être évitée : « Il n'est pas correct pour un prophète qui a mis son armure de la retirer avant d'avoir combattu. » [32]
L'image du Prophète en armure est particulièrement forte, Muḥammad apparaît comme un homme sans compromis, associant le combat et la guerre à sa mission prophétique. Dans son histoire universelle, Ṭabarī consacre également tout un chapitre aux sept épées légendaires de Muḥammad [33]. Certaines sont récupérées par ses Compagnons à l'occasion des grandes batailles de l'Islam ou après sa mort. L'épée la plus célèbre du Prophète est sans aucun doute Ḍhū al-Faqār [34], obtenue en butin à la bataille de Badr. Celle-ci est communément représentée à deux dents, et perçue comme la plus meurtrière de ses armes. Muḥammad la confie à ʿAlī sur le champ de bataille de Uḥud, où l'épée lui prodigue une force surhumaine et le fait entrer dans une transe guerrière. Ḍhū al-Faqār est effectivement connue pour ses propriétés magiques et eschatologiques. À la mort de Muḥammad, ʿAlī la reçoit en héritage et est censé la brandir lors du Jugement Dernier. La légende veut que plusieurs montagnes nommées Ḍhū al-Faqār au Moyen-Orient et en Iran aient été découpées par ʿAlī [35]. Les autres épées sont tirées de l'armurerie des Banū Qaynuqā, une des trois tribus juives de Yathrib soumise après un siège. On en compte trois : Qalaʿī [36], Battār [37] et al-Ḥatf [38]. À celles-ci s'ajoutent trois autres épées : al-Mikhdham [39], al-ʿAdhb [40]. et Rasūb [41]. Les propriétés magiques des armes et des équipements du Prophète sont suggérés par les noms qui leur sont donnés, ce qui en fait des objets légendaires uniques. Le surnaturel et le merveilleux ont par conséquent une grande place dans la construction de la figure du Prophète-combattant, comme le prouvent ses miracles.

Le miracle et la guerre

La force miraculeuse du Prophète
Les miracles guerriers sont une particularité de Muḥammad et consolident le culte rendu au personnage. Ces événements viennent considérablement renforcer la dimension épique de son épopée et apposent un cachet sacré aux victoires des Croyants. On citera à nouveau le combat du Prophète contre Ubayy Ibn Khalaf, le champion polythéiste qui tombe à la première attaque portée par Muḥammad et déclare : « Même s'il m'avait craché dessus il m'aurait tué ! » [42] Cette anecdote est à rapprocher du combat très similaire de David contre Goliath dans le premier livre de Samuel, et montre l'influence de la culture biblique sur l'écriture des maghāzī. La liste des miracles est longue, à Badr par exemple, le Prophète jette des graviers aux yeux des cavaliers Qurayshs en pleine charge. L'armée est alors mise en déroute, rendue aveugle et inapte au combat [43]. Le phénomène se répète au siège de la forteresse de al-Nizār à Khaybar, où Muḥammad prend des galets et les lance sur la forteresse, ce qui a pour effet de créer un tremblement de terre et de faire s'effondrer celle-ci [44].
Ces miracles sont également l'occasion de prémonition des conquêtes. À la bataille du Fossé, alors que les combattants creusent la tranchée en préparation du combat, 'Umar ibn al-Khaṭṭāb tombe sur une pierre si dure qu'aucune pioche ne peut la briser. Le Prophète prend un sarcloir et tape trois fois. À chaque coup correspond un éclair et une vision, et la pierre s'effrite pour ne laisser que du sable. Le premier éclair lui fait voir les châteaux de Syrie, le second ceux du Yémen, puis ceux de Khusraw en Perse. Le miracle est confirmé dans le récit par Salmān, un Perse converti qui a voyagé et vu de ses yeux les châteaux. Le Prophète interprète ses visions en prédisant les conquêtes de ces régions à ses Compagnons : « Ces conquêtes voulues par Dieu vous seront ouvertes après moi, Ô Salmân, car le Nord vous sera ouvert. Heraclius fuira jusqu'au royaume le plus lointain, et vous serez victorieux sur le Nord et personne ne pourra vous contester. Le Yémen vous sera ouvert. L'Est sera conquis et Kisrā tué aussitôt. » [45]
On retrouve ce miracle chez Ṭabarī, où à chaque coup de pioche, le Prophète voit des palais qu'il soulève « tels des dents de chien ». Jībril lui annonce que son peuple sera victorieux et conquerra les palais des bords du Tigre al-Madāʿin (Ctesiphon) et de l'Euphrate (al-Ḥīrah) [46]. La prophétie est ainsi liée à un discours politique sur les conquêtes qui vient une nouvelle fois justifier l'expansion de l'Islam.

Les invocations : la figure de l'ange-combattant
Les invocations sont à classer parmi les miracles guerriers du Prophète. À la bataille de Badr, Muḥammad invoque le secours des anges [47], c'est le seul miracle que l'on retrouve dans le Coran : (Rappelez-vous) quand vous demandiez secours à votre Seigneur et qu'Il vous exauça, vous disant : « Je vais vous donner en renfort mille Anges ayant compagnon en croupe. » [48]
Comme les combattants sur le champ de bataille, les anges se battent et décapitent les ennemis, ils sont cependant invisibles et seul le Prophète peut les voir. Les anges sont aussi présents à Uḥud où ils ne combattent pas, mais observent la bataille et encouragent les musulmans. Les païens sollicitaient déjà des miracles de ce type du ciel au combat selon l'historien Glen W. Bowersock [49] ; plusieurs inscriptions et ex-voto ont été retrouvés dans des lieux de culte arabes nabatéens, notamment à Petra. Les inscriptions et les ex-voto agissent comme des invocations, dans le but de demander la protection des anges. Les miracles de Muḥammad sont donc hérités d'une tradition invocatoire qui remonte à l'Antiquité, et qui s'est poursuivie chez les peuples arabes de la péninsule. Les anges guerriers sont déjà présents dans la Bible où ils agissent comme des protecteurs du peuple élu de Dieu. Dans l'Ancien Testament, Gabriel s'adresse à Daniel et affirme avoir combattu avec l'archange Michel le Prince du royaume de Perse pendant vingt et un jours [50]. Dans la tradition biblique, Michel est perçu comme l'ange guerrier par excellence, il est considéré comme le chef des armées célestes. La rencontre avec les chrétiens de Syrie lors de la conquête du Proche-Orient sous le califat de ʿUmar a pu favoriser le passage de ce type de littérature chez les musulmans. Dans la tradition musulmane, c'est Gabriel qui prend le relais de chef des armées célestes à Badr et à Uḥud. Comme le Prophète, il est à la fois le transmetteur du message divin et un combattant exceptionnel. Dans les sources narratives, tous les autres anges sont d'ailleurs perçus comme des guerriers portant un turban blanc, l'insigne des oulémas. On associera donc la figure du Prophète-combattant avec l'image antique des anges guerriers dans les textes des débuts de l'Islam.

Conclusion

Muḥammad est bien un personnage sanctifié par les historiens musulmans du Moyen Âge. La poésie et le contexte préislamique ont joué un rôle dans la construction de l'épopée du Prophète-combattant, dans la représentation du combat et l'édification des martyrs dans l'Islam. Les sources sont rares, mais on peut tout de même retracer des motifs. L'Islam reprend des codes antiques universels mais aussi des images propres à la poésie des princes de la Jāhiliyya. Si les auteurs des textes héritent de ce passé, le contexte du califat abbasside influe également sur l'écriture de l'histoire des débuts de l'Islam. Les enjeux de la construction d'une figure aussi importante que celle du Prophète sont multiples et mêlent l'histoire des conquêtes et de l'empire aux querelles religieuses internes à la communauté. Le conflit entre le sunnisme et le shīʿisme, particulièrement attaché à la figure de ʿAlī l'illustre. Les historiens musulmans répondent ainsi à une demande qui émane de leurs mécènes, les califes, mais aussi de toute la société de l'empire. Durant cette période l'Islam façonne aussi ses propres codes et son esthétique, ce qui est à mettre en lien de manière générale avec la naissance d'une littérature arabe singulière au Moyen-Orient.

Bibliographie indicative :

- Michael Bonner, Le Jihād  : origines, interprétations, combats, Paris, Téraèdre, 2004.
- Jacqueline Chabbi, « Histoire et tradition sacrée. La biographie impossible de Mahomet », Arabica, 1996, vol. 43, no 1, p. 189‑205.
- Abdesselam Cheddadi, Les Arabes et l'appropriation de l'Histoire. Emergence et premiers développements de l'historiographie musulmane jusqu'au IIe/VIIIe siècle, Paris, Sindbad, Actes Sud, 2004.
- David Cook, Martyrdom in Islam, Cambridge, Cambridge University Press, 2007.
- Fred McGraw Donner, Narratives of Islamic origins  : The beginnings of Islamic historical writing, Princeton, The Darwin Press, 1998.
- Denis Gril, « Le corps du Prophète », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 2006, p. 37‑57.
- Martin Lings, Le Prophète Muḥammad  : sa vie d'après les sources les plus anciennes, Paris, Seuil, 1986.
- Alfred Morabia, Le Jihād dans l'Islam médiéval  : le « combat sacré » des origines au XIIe siècle, Paris, Albin Michel, 1993.
- Harald Motzki, The biography of Muḥammad  : the issue of the sources, Leiden, Brill, 2000.
- Annliese Nef et Vanessa Van Renterghem, Muḥammad, Paris, La Documentation française, 2011.
- Alfred-Louis Prémare, Les fondations de l'Islam  : entre écriture et histoire, Paris, Seuil, 2002.
- Chase F. Robinson (dir.), The New Cambridge History of Islam. Volume 1  : The Formation of the Islamic world, Sixth to Eleventh centuries, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.
- Uri Rubin, The Eye of the Beholder  : The Life of Muḥammad as viewed by the Early Muslims  : A Textual Analysis, Princeton, Darwin Press, 1995.
- Uri Rubin, The Life of Muḥammad, Aldershot, Ashgate, 1998.
- Gregor Schoeler, The Biography of Muḥammad  : Nature and Authenticity, London, Routledge, 2011.

Cet article est extrait d'un mémoire de première année : Adrien de Jarmy, « Le paradis à l'ombre des épées : La naissance de la figure du Prophète-combattant dans l'Islam des VIIe-Xe siècles », École Normale Supérieure de Lyon, 2014, sous la direction de Cyrille Aillet et Abbès Zouache , CIHAM.

Notes :

[1Le mot vient de la racine shahada, « témoigner » : « Ashhadu an lā ilāha illa Allāh, wa ashhadu ana Muḥammadan rasūl Allāh » qui peut se traduire par « je témoigne qu'il n'y a pas de divinité en dehors de Dieu et que Muḥammad est l'envoyé de Dieu ».

[2Littéralement « chemin de vie » d'Ibn Isḥāq Auteur abbasside de la seconde moitié VIIIe siècle ayant servi de modèle littéraire aux historiens qui ont suivi. De son œuvre, il ne nous reste qu'une recension datée du début du IXe siècle, attribuée à Ibn Hishām.

[3Les récits des expéditions du Prophète, du mot « ghazwa » ou « expédition », à donné le mot « razzia » en français.

[4Le mot « musulman » est inexistant à l'époque, on emploie semble t-il tout simplement le terme « Croyant », « Mūmin » en arabe.

[5La double datation fait référence aux calendriers musulman et chrétien.

[6« Auxiliaires » en arabe, littéralement ceux qui aident.

[8« L'Âge de l'Ignorance », terme désignant la période antérieure à l'Islam. Après Muḥammad, certaines tribus apostasient l'Islam et doivent être à nouveau soumises, on nomme cette période la « Ridda ».

[9Les Abbassides sont les descendants de la famille du Prophète par son oncle ʿAbbās.

[10Impôt de capitation destiné aux dhimmi, les gens du Livre « protégés » du droit musulman.

[11Coran, sourate 9 : 29, Régis Blachère, Le Coran, Paris, G.-P. Maisonneuve, 1959.

[12Wāqidī, The Life of Muḥammad, Abington, Routledge, 2011, p. 152-153.

[13Les quatre califes « bien guidés », dans l'ordre chronologique Abū Bakr, 'Umar ibn al-Khaṭṭāb, 'Uthmān ibn Afān et ʿAlī ibn Abī Tālib.

[14Dominique Sourdel et Janine Sourdel, Dictionnaire historique de l'islam, Paris, Presses universitaires de France, 1996, pp. 436-437. La racine « jahada » signifie « lutter », « se battre ».

[15Alfred Morabia, Ibid.

[16On comprendra le phénomène de sacralisation simplement comme le fait de réserver par des pratiques et des discours un espace sacré pour la guerre.

[17À cet impôt de capitation est souvent ajouté un impôt foncier, le kharāj.

[18Le statut de dhimmī tel qu'il est évoqué dans le Pacte de Médine semble relativement anachronique à l'époque de Muḥammad, institutionnellement ce statut ne se met en place qu'à l'époque Omeyyade.

[19Michael Bonner, Le Jihād  : origines, interprétations, combats, Paris, Téraèdre, 2004.

[20bn Isḥāq, The Life of Muḥammad  : Isḥāq's Sīrat Rasūl Allāh, Oxford, Karachi, Oxford University Press, 2006, pp. 565-566.

[21Wāqidī, Op. cit. p. 246.

[22Bukhārī, Les traditions islamiques. Volume II, Paris, Librairie d'Amérique et d'Orient, 1906, vol. 2, pp. 284-285.

[23Coran, sourate 57:19-26, Régis Blachère, Op. cit.

[24Wāqidī, Ibid., 2011, p. 134.

[25Ibn Isḥāq, Op. cit., pp. 371, 381, 385 et 391.

[26Abdesselam Cheddadi, Les Arabes et l'appropriation de l'Histoire. Emergence et premiers développements de l'historiographie musulmane jusqu'au IIe/VIIIe siècle, Paris, Sindbad, Actes Sud, 2004.

[27Ibn Isḥāq, The Life of Muḥammad  : Isḥāq's Sīrat Rasūl Allāh, Oxford, Karachi, Oxford University Press, 2006, pp. 289-313 ; Wāqidī, Ibid., pp. 26-73 ; Balādhurī, Ibid., p. 129 ; Ṭabarī, The History of Ṭabarī. Volume VII. The Foundation of the Community  : Muḥammad at al-Madina, Albany, State University of New York Press, 1987, pp. 26-64.

[28Ibn Isḥāq, Op. cit., pp. 370-390 Wāquidī, Ibid., pp. 99-155 ; Ṭabarī, Op. cit., pp. 105-126.

[29Ibn Isḥāq, Ibid., pp. 540-560 ; Wāquidī, Ibid., pp. 400-407 ; Balādhurī, Ibid., pp. 62-66 ; Ṭabarī, The History of al-Ṭabarī. Volume VIII. The Victory of Islam  : Muḥammad at Medina, Albany, State University of New York Press, 1997, pp. 165-178.

[30« Muʿallaqāt » en arabe. La légende veut que ces poèmes aient été accrochés aux murs de la Kaʿba.

[31Ṭabarī, Op. cit., p.123.

[32Ibn Isḥāq, Ibid., p. 372.

[33Ṭabarī, The History of al-Ṭabarī. Volume IX. The Last Years of the Prophet, Albany, State University of New York Press, 1990, p. 153-154.

[34Plusieurs traductions sont envisageables selon le sens que l'on veut lui donner : « tranchant l'échine », « deux-pointes » ou même « qui distingue du bien et du mal ». L'idée d'une arme qui donne à son possesseur le pouvoir de couper le bien et le mal en deux domine.

[35Jean Calmart, « Ḍhū al-Faqār », Encyclopaedia Iranica online, 2011.

[36« Arracher, prendre de force ».

[37« Très aiguisée ».

[40« Aiguisée » également

[41« Qui a l'habitude de couler ».

[42Ṭabarī, The History of Ṭabarī. Volume VII. The Foundation of the Community  : Muḥammad at al-Madina, Albany, State University of New York Press, 1987, p. 123.

[43Ibn Isḥāq, Ibid., p. 301.

[44Wāqidī, Ibid., pp. 328-329.

[45Wāqidī, Ibid., p. 120.

[46Ṭabarī, The History of al-Ṭabarī. Volume VIII. The Victory of Islam  : Muḥammad at Medina, Albany, State University of New York Press, 1997, pp. 11-12.

[48Coran, sourate 8 : 9, Régis Blachère, Ibid.

[49« Les anges païens dans l'antiquité tardive », conférence de Glen W. Bowersock du 30 septembre 2013 au Collège de France.

[50Daniel, 10 : 13-14.



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