Pourquoi le “concordat“ avec
l'islam est impossible
HENRIK
LINDELL ET PASCALE TOURNIER publié le 13/02/2018
Pour
réformer l’islam de France, Emmanuel Macron veut s’inspirer du régime
napoléonien qui prévaut en Alsace-Moselle. Baroque.
Chirac,
Sarkozy, Hollande… Tous les présidents ont voulu réorganiser l’islam de France.
Et tous ont échoué. Créé en 2003 par Nicolas Sarkozy, le Conseil français du
culte musulman (CFCM), dont les membres du bureau doivent être réélus en 2019,
est un échec cuisant. Miné par les divisions internes, affaibli par son absence
de représentativité, placé sous l'influence politique et économique des pays
étrangers, le CFCM fait figure de repoussoir… Emmanuel Macron peut-il déjouer
la malédiction ?
Dans
le Journal du Dimanche du 11 février, le
chef de l'État a une nouvelle fois assuré qu'il réfléchissait à ce dossier
brûlant. Voulant « poser les jalons de toute l'organisation de l'islam
de France » durant ce premier semestre 2018, il considère qu'il
faut « s'inspirer fortement de notre histoire, de l'histoire des
catholiques et de celle des protestants ». Le but étant d'améliorer la
relation entre l’État et l’islam pour mieux combattre l’islam radical. Encore
faut-il inventer une structure représentative qui tienne la route.
Un «
nouveau concordat »...
Pour
sortir de l’impasse, Emmanuel Macron envisage un « nouveau concordat ».
Une idée qui a largement de quoi surprendre. D'abord parce qu'au sens strict,
le terme renvoie à un régime spécifique, uniquement en vigueur en Alsace et en
Moselle. Il y reconnaît et y organise actuellement les cultes catholique,
luthérien, réforme et israélite. Les évêques de Metz et Strasbourg sont nommés
par décret du président de la République après accord du Saint-Siège, les
grands rabbins et les pasteurs sont nommés par le Premier ministre et ils ont
un statut de fonctionnaires. Ce régime permet de salarier les ministres des
cultes. L’État a ainsi une possibilité d'exiger une sorte de contrepartie des
cultes ainsi reconnus. L'islam, lui, a seulement un statut d'association de
droit local alsacien-mosellan, qui lui permet quand même de bénéficier de fonds
publics, par exemple pour construire des mosquées, ce qui est impossible dans
le reste de la France.
On
pourrait sans doute étendre ce statut privilégié à l'islam en Alsace et Moselle (si
on trouve une organisation musulmane représentative), mais on voit mal comment
imposer un concordat à nouveau à l'échelle de la France. Et le faire seulement
pour l'islam. Il semble en effet difficile d'imaginer que les imams de France
soient salariés par une république qui, selon la loi de 1905… ne reconnaît
aucun culte.
Le
concordat d'Alsace-Lorraine est en réalité un reliquat du Concordat français,
traité conclu en 1801 entre le Premier consul et le pape Pie VII… puis étendu
aux autres cultes.
Si
cette hypothèse d'un nouveau concordat semble bien baroque, sans
doute Macron veut-il d’abord s’en tenir à la charge symbolique du mot et à sa
référence napoléonienne. Le concordat d'Alsace-Lorraine est en réalité un
reliquat du Concordat français. Autrement dit d'un traité conclu en 1801 entre
deux chefs d’État, le Premier consul et le pape Pie VII… puis étendu aux autres
cultes, avant d'être abrogé en 1905 par la loi de séparation des Églises et de
l’État, sauf en Alsace et Moselle, alors sous contrôle allemand.
Derrière
l’expression pompeuse du « nouveau concordat », se cacherait
finalement le principe d’une plus grande intervention de l’État d'abord dans la
question des financements. Sous l’influence d’Hakim El Karoui, auteur de l’étude «
Un islam français est possible » pour le compte de l’Institut Montaigne et
qu’Emmanuel Macron a consulté, l’exécutif réfléchit à l’instauration d’une taxe
sur le halal pour créer des financements français (via une association
cultuelle qui pourrait être mise en place).
Et un
grand imam de France ?
Autre
idée en discussion : création d’un grand imam de France, sur le modèle du grand
rabbin et que plaide Hakim El Karoui dans son livre L’islam, une
religion française (Gallimard, 2018). Ce modèle évoque, à son tour, le
principe d’un consistoire, à l’instar de celui qui fut créé pour les juifs de
France par Napoléon en 1808 et qui est toujours de vigueur. On peut noter que
l’empereur soumit d’abord à une Assemblée des notables juifs douze questions
critiques qui permirent de vérifier que leur religion est bien compatible avec
le Code civil. Ces questions portaient notamment sur les règles du mariage, par
exemple la possibilité d’épouser quelqu’un d’une autre religion, et la façon
dont les juifs nés en France percevaient leur patrie. Assez étrangement, 210
ans après, si on remplaçait le mot « juif » par « musulman », certaines d’entre
elles ne manqueraient pas de pertinence aujourd’hui.
Le
dernier axe de travail privilégié par le gouvernement est la formation des
imams. Un chantier qui n'a rien de nouveau. C'est dans
cet esprit que les pouvoirs publics ont favorisé l'émergence de formations
civiles certifiantes portées par les universités. En 2008, sept diplômes
universitaires (DU) ont été lancés à Lyon, Strasbourg, la catho de Paris,
Montpellier… À la rentrée de 2018, on comptabilisera 18 DU qui formeront 450
étudiants.
Jean-Pierre
Chevènement veut aller plus loin avec la création d’une université de théologie
musulmane en Alsace-Moselle.
Pour
favoriser l’émergence d’un « islam cultivé », Jean-Pierre
Chevènement, qui préside la fondation de l’islam de France, veut aller plus
loin avec la création d’une université de théologie musulmane en Alsace-Moselle
sur le modèle des deux facultés de théologie catholique et protestante qui font
partie de l’Université de Strasbourg. Un centre de théologie catholique est
aussi intégré à l’Université de Lorraine. « L’enseignement de haut
niveau est la question principale », estime l’ancien ministre de l’Intérieur
qui en appelle à une « laïcité pragmatique ».
L’idée de créer un centre
universitaire d’enseignement de l’islam est en
gestation depuis plusieurs années. En 2003, dans le cadre de la commission
Stasi, François Baroin, mentionnait ce projet, qui a ensuite été repris en 2006
par le rapport Machelon puis en 2010 par la mission d’information sur la
pratique du port du voile intégral. Un
véritable serpent de mer.
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