Christian Godin face à l'islam
Permanence de la lutte contre l'infâme
Le nouvel essai du philosophe Yvon Quiniou, dédié au très regretté Abdelwahab Meddeb et au poète syrien Adonis « pour leur courage intellectuel », est un exemple rare de rigueur et de probité de pensée, dont le public le plus large devrait prendre connaissance.
Auteur de nombre d'ouvrages, bon connaisseur de Marx et de Nietzsche, Yvon Quiniou est un philosophe matérialiste et un militant du communisme, que désole une certaine attitude prise dans le camp de la gauche radicale à l'égard de la religion, et plus spécifiquement à l'égard de l'islam.
Contre une certaine doxa, aujourd'hui complaisamment diffusée, Yvon Quiniou montre, textes à l'appui, qu'il existe entre l'islam, tel qu'il s'exprime dans le Coran, et l'islamisme dont nous voyons aujourd'hui les ravages, une continuité certaine. Ce qui ne signifie pas, évidemment, que les musulmans soient fatalement islamistes.
S'inscrivant dans le noble héritage de Spinoza, de Feuerbach et de Marx, Yvon Quiniou, qui a publié, il y a deux ans, une Critique de la religion sous-titrée Une imposture morale, intellectuelle et politique, montre que la critique de la religion est toujours à l'ordre du jour, qu'à de rares exceptions près, elle s'est toujours trouvée du côté des riches et des puissants, pour justifier leur intolérable domination. L'islam aujourd'hui illustre cette collusion jusqu'à la caricature, et à ceux qui se réfugient derrière la thèse de l'instrumentalisation du religieux par le politique, Quiniou répond pertinemment que la religion est déjà par elle-même une forme de pouvoir sur les esprits des hommes, comme le montre assez l'ignominieuse pratique qui, avec le voile intégral, fait de la femme « une espèce de cadavre ambulant ».
Certes, l'islam, comme toute religion du point de vue marxiste (voir la thématique de « l'opium du peuple »), est l'expression d'une aliénation sociale. Mais elle est aussi, Quiniou y insiste, un facteur d'aliénation. Et c'est pourquoi le combat contre ce que Voltaire appelait « l'infâme » n'est jamais fini. C'est pourquoi, écrit le philosophe, qui rejoint sur ce point Élisabeth Badinter, « on a parfaitement le droit d'être islamophobe, comme d'être judéophobe ou christianophobe », ce qui ne signifie évidemment pas détester les musulmans. Marx détestait-il les ouvriers lorsqu'il disait qu'ils étaient exploités ? Si la souffrance sociale devait excuser les pires préjugés (et là Yvon Quiniou s'adresse à ses amis du Front de gauche), alors nous devrions excuser le racisme anti-immigré (déjà bien présent parmi les classes populaires) sous prétexte qu'il est un exutoire à leurs malheurs ! Contrairement à ce que diffuse un autre doxa répandue un peu partout, et pas seulement dans les milieux conservateurs, la religion n'est pas une nécessité sociale, on peut très bien vivre, et surtout vivre mieux, sans elle.
L'islam ne conçoit l'humanité que comme une communauté de musulmans. Son prétendu universalisme n'est que l'empire d'un particularisme. Pour lui, il n'y a d'êtres humains que croyants, convertis ou morts. Et sans doute est-ce là le cœur ou le noyau dur de la critique d'Yvon Quiniou : dès lors que l'islam ne peut penser le monde et humanité en dehors de ses propres valeurs, il ne peut qu'être violent. Certes, le même constat pourrait être fait à propos du christianisme. Deux différences capitales néanmoins séparent les deux religions : d'une part il existe un universalisme chrétien, comme l'a souligné Alain Badiou dans son livre sur saint Paul, et d'autre part, depuis la Révolution française, l'Église a dû céder une bonne partie de son pouvoir à l'État et, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, finir par admettre la sécularisation de la société et la valeur de la laïcité. Pour des raisons qui tiennent à la fois à l'histoire et à la culture, rien de tel ne s'est encore passé dans le monde musulman. D'où l'ardente obligation de cette dénonciation critique.
Yvon Quiniou, Pour une approche critique de l'islam, H&O, 2016, 96 pages.
Christian Godin.
Curistian Godin et l'auteur d'une oeuvre foisonnante. Il a enseigné à l'Université de Clermont-Ferrand, il est rédacteur en chef de la revue Cités (PUF) et collabore au journal Marianne dont l'orientaion laïque est impecable.