mercredi 1 juillet 2015

Djihadisme: la part d’islam, la part d’Occident, sans oublier la folie - LeTemps.ch

Djihadisme: la part d'islam, la part d'Occident, sans oublier la folie - LeTemps.ch
Djihadisme: la part d'islam, la part d'Occident, sans oublier la folie
Sur les lieux de l'attentat de Sousse (Tunisie), qui a fait 38 morts. (Keystone)

A chaque nouvel attentat signé de l'Etat islamique, Al-Qaida ou autre se pose la question des motivations. Le psychologue Eric Vartzbed n'en exclut aucune, mais met l'accent sur la part individuelle, et les meilleurs remèdes à opposer à cette prolifération de violence

En début d'année, des djihadistes ont semé la terreur à Paris et ont fait 17 morts. Ce déchaînement de violence a suscité une vague d'effroi et de sidération, signe de ce que les cliniciens nomment une «effraction traumatique». La semaine passée, de nouveau, des actes barbares ont été perpétrés. Pour traiter l'effroi suscité, nous disposons de différents remèdes: la parole, les anxiolytiques, etc.

Lorsque, par surprise, le traumatisme surgit, le sol se dérobe sous nos pieds, nous perdons notre cohérence, le monde devient inintelligible.

Par les catégories qu'elle délimite, la langue permet d'ordonner le chaos, de générer du sens. Et, par la circulation qu'elle implique, de fabriquer des liens sociaux. La parole nous réorganise, restaure notre équilibre, remet en place des repères salutaires. La langue rend le monde habitable, familier, elle lui redonne une lisibilité nécessaire.

Dans le flot de paroles qui a fait suite aux attaques de janvier, trois grandes lignes d'interprétation ont émergé.

La première considère l'islamisme comme une émanation de l'islam. Son prolongement certes monstrueux, mais naturel. Cette ligne est défendue par exemple par Alain Finkielkraut, Elisabeth Lévy, et d'autres.

La seconde estime que l'islamisme est l'effet de l'islamophobie. Ce serait la violence occidentale qui induirait ces attaques terroristes. Dans la lignée du prophète Osée, cette lecture avance que «celui qui sème le vent récolte la tempête». On pourrait dire que les tenants de cette interprétation appartiennent au «Parti de l'Autre». Et qu'au fond, en forçant à peine le trait, si mon voisin me tue, c'est de ma faute. Cette ligne est défendue par Gordon Adams dans Foreign Policy, Edwy Plenel, etc.

Enfin, il y a ceux qui pensent que dans cette «folie meurtrière», il convient de centrer l'analyse sur la notion de folie. Le regretté Charb, par exemple, soutenait que: «Pour lutter contre le djihadisme, il ne faut pas fermer des mosquées, mais ouvrir des hôpitaux psychiatriques.»

Les terroristes, en effet, ont un profil psychologique particulier. La majorité relève effectivement d'une catégorie diagnostique: celle de «psychose paranoïaque avec traits psychopathiques». Il s'agit d'individus très dangereux, qui rationalisent leur passage à l'acte en adhérant à une idéologie (par exemple religieuse). C'est le mariage explosif d'un déséquilibré violent et d'une doctrine criminelle. Doctrine qui organise cette folie, la rend efficiente. Au fond, peu importe l'idéologie, pourvu qu'ils aient le crime. Aujourd'hui, l'islamisme se prête à merveille à cet usage, il semble fédérer une multitude d'égarés violents issus des quatre coins du globe. Des candidats se pressent dans les camps d'entraînement djihadistes. Ils viennent de partout: Canada, Australie, Belgique, France, etc.

Pour ma part, je pense qu'il convient de tenir ensemble ces trois lignes interprétatives. Le terrorisme relève d'un bouquet de causes, d'une multitude de déterminants qui se renforcent mutuellement dans une ronde infernale. Toutes ces interprétations partielles sont donc en partie valables. Mais mettons l'accent sur celle qui me paraît la plus importante, la plus lourde d'effets, la troisième.

Dès lors, le questionnement se déplace. La question de savoir comment naît le terrorisme renvoie aux troubles psychiques des acteurs qui s'y livrent. L'interrogation devient: comment se fabriquent ces individus qui fonctionnent sur un mode clivé, avec une normalité de façade qui masque le diagnostic précité?

Là, on quitte les généralités sociologiques et on entre dans les arcanes de la singularité des personnes. Malheureusement, sur ce point, les informations publiques véhiculées par les médias ne peuvent être que décevantes. Que sait-on de la personnalité intime des criminels? Que s'est-il joué lors de la formation de leur identité? Nous n'en savons quasiment rien.

Concernant Amedy Coulibaly, un des djihadistes responsables du carnage commis en début d'année, que dire sinon que sa mère a eu dix enfants, qu'il a peut-être eu affaire à une femme sans limites?

Et que penser de Yassin Salhi, l'auteur présumé de l'attentat de Saint-Quentin-Fallavier dans l'Isère, dont on ne sait encore si le meurtre de son employeur relève de motifs idéologiques ou personnels?

Surtout, ici, il nous manque l'essentiel, à savoir: quels ont été les effets subjectifs des points biographiques connus, qui, en eux-mêmes, ne veulent rien dire. On ne peut pas rendre compte d'un être humain de l'extérieur. Il faut l'entendre. Les difficultés rencontrées dans une vie n'expliquent pas tout et d'une faiblesse peut jaillir une force.

Quoi qu'il en soit, je crois que les propos de Charb cités plus haut pèchent par excès d'optimisme. Charb avançait en effet que la solution pourrait passer par l'encadrement psychiatrique des adultes. C'est perdre de vue un point capital. En effet, l'adulte susceptible de passer au terrorisme est hermétique, voire hostile aux soins proposés. Sa personnalité est organisée de telle sorte qu'il lui est impossible de formuler la moindre demande d'aide. Dans son esprit, ce sont les autres qui ont un problème. La remise en question est quasiment inconcevable et les soins fortement compromis. Son «médicament», sa solution, il la trouve dans l'action, dans des groupes qui flattent sa vanité et une idéologie qui lui masque à lui-même ses problèmes. Une idéologie qui lui donne un «mode d'emploi» rigide qui règle tous les aspects de sa vie et stabilise son errance.

Bref, je suis un peu pessimiste quant à l'évolution favorable des adultes. En revanche, ne serait-il pas intelligent de donner des moyens aux institutions qui encadrent les enfants perturbés? Que les familles chaotiques soient moins laissées à elles-mêmes? Que l'Etat ait plus facilement l'autorité d'exiger des tutelles éducatives pour les parents inadéquats, voire des placements? Ceci afin qu'un enfant issu d'un environnement toxique ait l'occasion de rencontrer des adultes sources de résilience, de croissance.

Ici, je pense surtout aux professionnels de l'éducation et des soins. Pas vraiment aux professeurs, déjà trop chargés, dont la mission est d'enseigner, non d'éduquer, et encore moins de soigner.

Dans les réponses au terrorisme, on a beaucoup parlé des moyens supplémentaires nécessaires à la police, voire à un Patriot Act à la française. J'espère pour ma part que le volet social préventif ne sera pas le grand laissé pour compte.

Cela dit, s'il convient de prendre des mesures, je tiens aussi à nuancer ces propos. A rappeler que sur toutes ces questions, nous tâtonnons un peu dans le noir. En outre, – que cela ne nous empêche pas de réfléchir et d'agir –, disons aussi que l'humanité semble habitée par une part nocturne, que certains individus ont le goût du sang, la soif du mal, et, ceci, probablement sans remèdes.

Et, pour conclure, une blague d'humour noir que certains jugeront de mauvais goût, peut-être dans l'esprit de Charlie Hebdo, me revient en mémoire: tuer un homme fait de toi un criminel, en tuer des milliers fait de toi un conquérant, celui qui les tue tous est appelé un Dieu…



Envoyé de mon Ipad 

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