Turquie, les quatre vérités sur le terrorisme du président Erdogan
« La France doit être la plus grande amie de la Turquie en Europe »
Recep Tayyip Erdogan, président de la République turque
Vendredi 31 octobre, à l'Automobile club de France
A 60 ans, Recep Tayyip Erdogan n'a rien perdu de sa verve. L'homme fort de la Turquie a prononcé un discours tonique vendredi 31 octobre devant une assistance réunie sous les auspices de l'Institut français de relations internationales (Ifri). Peu après sa rencontre avec François Hollande à l'Élysée, il a notamment manifesté de fortes attentes envers la France, après la période glaciale traversée par les relations franco-turques durant la présidence de Nicolas Sarkozy. Il a longuement expliqué pourquoi la bataille de Kobané, ville syrienne défendue par des Kurdes face à l'organisation djihadiste Daech, n'avait pas de grande signification à ses yeux.
Président de la République turque depuis août 2014 après avoir été premier ministre sans discontinuer pendant onze ans, Recep Tayyip Erdogan a refaçonné la politique étrangère de son pays, en s'appuyant sur la confrérie des Frères Musulmans comme partenaire privilégié et relais d'influence dans le monde arabe. S'appuyant sur des valeurs conservatrices musulmanes, il a aussi transformé le visage de son pays. Fougueux, péremptoire, ce leader charismatique s'est livré sans artifice, vendredi, à un tour d'horizon des grands problèmes du Moyen-Orient durant son discours et dans ses réponses aux questions.
« J'espère que nous avons engagé un nouveau processus avec la France »
« Les relations franco-turques ont un grand potentiel », a-t-il commencé. « La France et la Turquie sont de grands pays. Elles partagent des relations historiques, culturelles, politiques, économiques depuis des siècles. Mais il ne faut pas que leurs visions en politique étrangère soient endommagées par des préjugés relevant de la politique intérieure. Jusqu'au président Chirac, la France a toujours soutenu le processus d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Puis les choses ont changé. J'espère que nous avons engagé un nouveau processus ».
« L'adhésion à l'Europe est un droit naturel, légitime, de la Turquie »
« La Turquie est depuis 1963 à la porte de l'Union européenne », a-t-il relevé. « C'est incompréhensible. Aucun autre pays ne s'est vu traité de la sorte. Ces dernières années, le processus d'adhésion souffre d'un ralentissement sérieux. Nous espérons que les promesses seront tenues. L'adhésion est un droit naturel, légitime, de la Turquie. Et son intégration sera une réponse appropriée à la thèse du clash des civilisations. La France peut le comprendre, donc on espère qu'elle aura un rôle de facilitateur vis-à-vis de l'UE. La France doit être la plus grande amie de la Turquie en Europe. C'est d'elle que nous attendons le plus grand soutien, la plus grande compréhension ».
« Kobané n'est qu'une partie minime du drame »
Recep Tayyip Erdogan a surtout longuement parlé de la situation en Syrie et en Irak, où l'organisation djihadiste Daech est depuis l'été la cible de frappes aériennes d'une coalition dirigée par les États-Unis. Il a tenté de faire comprendre pourquoi, de son point de vue, Daech représentait un péril moindre pour son pays que le PKK, organisation de guérilla en lutte armée contre l'État turc depuis 1984. « Aujourd'hui on ne parle que de Kobané assiégée par Daech », a-t-il commenté. « Or Kobané n'est qu'une partie minime du drame qui se joue dans cette région. Pourquoi donc en fait-on un tel enjeu stratégique? Y a-t-il de l'or? des diamants? S'il y a un pays pour lequel ce devrait être stratégique, c'est bien la Turquie, puisqu'elle est à nos frontières ».
> Lire une chronologie de la bataille de Kobané et les dernières informations sur le renfort de Peshmergas Kurdes irakiens
« Homs a été bombardée, les alliés n'ont pas réagi »
« Les vrais amis doivent dire la vérité, même si elle fait mal », argumente-t-il. « En Syrie, Hama a été bombardée, les alliés n'ont pas réagi; Homs a été bombardée, les alliés n'ont pas réagi; Deir-ez-Zor a été bombardée, les alliés ont gardé le silence. Et là, la coalition mène des bombardements pour Kobané. Pourquoi? On nous dit qu'il faut aider le PYD – allié syrien du PKK – en leur donnant des armes. Je dis : c'est une erreur, car le PYD est une organisation terroriste et que les civils ont de toute façon fui Kobané : 200 000 personnes, qui sont aujourd'hui chez nous, en Turquie. Ce feu vert donné par les Occidentaux au PKK et au PYD nous questionne ».
« Il y a aussi le terrorisme de l'État syrien »
« Daech est une organisation terroriste », assure le président turc. « Mais il y a aussi le terrorisme de l'État syrien. Et là, j'ai du mal à suivre le système de sécurité international, qui accorde une attention particulière aux armes chimiques mais se désintéresse des armes conventionnelles. Les armes chimiques ont tué environ 2000 personnes en Syrie, les armes conventionnelles environ 300 000! Sept millions de Syriens ont dû fuir leur foyer – dont 1,6 millions sont réfugiés en Turquie. Les nations devraient s'unir contre ce dirigeant, à Damas, et le déférer devant la Cour pénale internationale ! »
« La politique occidentale du deux poids, deux mesures »
« La politique occidentale du deux poids, deux mesures blesse les consciences au Moyen-Orient », prévient-il, « des blessures qui peuvent durer des décennies. S'il n'y a pas de justice dans cette région, les dégâts seront encore plus importants et ils finiront par atteindre l'Europe occidentale. C'est pourquoi il faut discuter de toutes ces questions dans une approche inclusive. Tous les problèmes sont liés les uns aux autres. Il faut aussi avoir une approche équilibrée et juste, savoir faire la part des choses entre Kobané et les 300 000 morts de la guerre en Syrie ».
« La Turquie combat le terrorisme depuis 30 ans »
« La presse occidentale accuse la Turquie d'aider Daech. C'est faux, nous n'avons pas commis cette erreur. Il n'est pas question pour la Turquie de soutenir ce groupe terroriste », riposte Recep Tayyip Erdogan. « La Turquie combat le terrorisme depuis 30 ans, elle sait les dégâts que cela peut faire. Elle a mené de nombreuses réformes dans le sens de la démocratie et des droits de l'homme. Elle a engagé un processus de résolution des problèmes avec les Kurdes avec l'objectif de mettre fin au terrorisme. Elle a mis fin au déni de la reconnaissance de l'existence de communautés différentes dans le pays ».
« 250 000 classes construites »
« Il y a quelques semaines, beaucoup de Kurdes d'origine turque ont été tués par le PKK », affirme-t-il. « Des centaines d'écoles et des cliniques ont été incendiées, des magasins ont été détruits parce que leurs propriétaires n'étaient pas du côté du PKK. Mais nous n'avons pas changé de stratégie. Nous faisons avancer le processus avec patience et détermination. Cela gêne le groupe terroriste. Le pays se développe en outre rapidement. Cela aussi gêne le groupe terroriste. Nous avons construits 250 000 classes supplémentaires. Il y avait 6100 kilomètres d'autoroute dans le pays, il y en a aujourd'hui 17.000. Il y avait 26 aéroports, il y en a aujourd'hui 52, y compris dans les provinces de l'Est et du sud-est. Cela gêne l'organisation terroriste, qui en a saboté certains. Elle n'est pas tolérante, pas plus que le parti qui en est la manifestation politique. Mais nous continuerons. Il n'y a pas d'autres solutions que la paix ».
« L'Arménie et la diaspora ont une approche idéologique »
« Nos pratiques sont comparables à celles en vigueur dans les pays de l'Union européenne », assure le chef de l'État turc. « Pourtant, nous sommes victimes de campagne de diffamation et de désinformation en Europe. Une autre injustice est la façon dont on traite les événements de 1915. L'Arménie et la diaspora arménienne ont une approche idéologique, non constructive. Pour nous, ce n'est pas une question politique, elle ne doit pas être instrumentalisée. Nos archives sont ouvertes, il y a un million de documents à examiner. Il faut que des historiens, des archéologues, des juristes, des politologues travaillent pour que ces événements soient bien compris et situés dans leur contexte. On espère que, de son côté, la France agira avec lucidité et bon sens ».
« Il n'y a pas besoin d'une réforme de l'islam »
Répondant à une dizaine de questions, Recep Tayyip Erdogan a notamment affirmé que Daech ne pouvait pas être présenté comme une 'organisation islamique' car, affirme-t-il, « le mot islam vient du mot paix ». « Il n'y a pas besoin d'une réforme de l'islam », ajoute-t-il. « L'enjeu est plutôt que les autorités religieuses musulmanes doivent s'exprimer davantage sur certains sujets, et recourir à des interprétations plus larges ».
« La Turquie n'acceptera pas de changement de frontières »
Il explique que « la Turquie n'acceptera pas de changement de frontières au Moyen Orient ». « Au final le peuple irakien sera vainqueur et l'intégrité territorial de l'Irak sera respectée », insiste-t-il. « Idem pour la Syrie ». Sur l'Ukraine, « la Turquie n'accepte pas l'occupation par la Russie de la Crimée, dont 14% de la population est constituée de Turcs Tatars. L'intégrité territoriale et l'indépendance de l'Ukraine doivent être respectées ».
» Gaza, une prison à ciel ouvert »
Il regrette que l'Iran poursuive une approche confessionnelle et communautaire de sa politique étrangère – « j'en suis attristé car nous partageons la même religion », précise-t-il. Sur Gaza – « une prison à ciel ouvert » -, il s'interroge : « Si l'on croit à la déclaration universelle des droits de l'homme, si l'on agit par humanisme, on se demande pourquoi les habitants de Gaza subissent un tel traitement ». Enfin, il rappelle son mépris pour le maréchal Sissi, élu en mai 2014 président de l'Égypte après avoir renversé le président Mohamed Morsi. « Je suis un leader démocratique. Je ne veux pas être à la même table que quelqu'un qui tire sa légitimité d'un coup d'État. Je ne veux pas lui accorder d'importance donc je ne lui parle pas. Quant au monde occidental, est-il pour ou contre la démocratie? Pour ou contre les coups d'État? Au vu de ce qui se passe en Égypte, il semblerait qu'il soit du côté des coups d'État ».
Pour aller plus loin
- la vidéo et le texte de la déclaration conjointe de François Hollande et Recep Tayyip Erdogan à l'issue de leur entretien à l'Elysée le 31 octobre 2014;
- L'article de La Croix : »Le jeu trouble de la Turquie face à la guerre en Syrie », paru le 8 octobre 2014;
- la carte animée 'Les Kurdes, un peuple sur quatre pays', publiée sur le site de La Croix le 10 octobre, avec notamment un point sur les villes menacées par Daech;
- le blog Paris Planète du 8 août 2014 « Erdogan président, une page se tourne en Turquie »;
- Le blog Paris Planète du 5 mars 2013 : « Les Kurdes de Syrie prônent un Etat fédéral »;
- Le dossier Syrie de La Croix.
- Le site du PKK, l'article paru le 17 septembre 2014 sur le site « Jolpresse Kurdistan : le PKK, grand vainqueur de la lutte contre l'Etat islamique? » et l'article paru le 1° novembre 2014 sur le site Kurdologie : « L'incommensurable hypocrisie de la 'journée pour Kobané'«
Envoyé de mon Ipad
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