Chrétiens de la Méditerranée
Le combat contre Daech n'est ni une lutte contre l'islam, ni un choc des civilisations
La barbarie dont Daech, le « califat » autoproclamé, fait quotidiennement preuve ne peut qu'horrifier tout être humain normalement constitué. Cette sauvagerie à prétention religieuse est tout aussi inhumaine que les barbarie séculières athées que furent le nazisme ou le stalinisme. Comme celles-ci, le djihadisme a pour objectif de conquérir et de dominer le monde entier pour lui imposer sa loi. Devant un tel défi, la communauté internationale a le devoir de s'unir pour le combattre. Encore faut-il le faire « avec des moyens appropriés ne causant pas davantage de mal que l'ennemi auquel on s'attaque ». C'est dans cet esprit et avec cette restriction contenue dans la doctrine catholique de la « guerre juste » que le pape François, pourtant farouche partisan de la non-violence, a admis que Daech devait, en effet, être combattu.
Ne nous faisons pas d'illusion : cette lutte sera longue, périlleuse et probablement douloureuse car le terrorisme est, par nature, un ennemi sournois et sans scrupule, qui avance masqué. Il tue des innocents et malheureusement, n'en doutons pas, il en tuera encore davantage demain. Pourtant, s'ils veulent résister à la barbarie djihadiste, les peuples doivent conserver leur sang froid. Rester vigilant, mais garder son calme, ce n'est pas facile quand des otages innocents sont lâchement égorgés. Ce le sera peut-être encore moins si, comme on a trop de raisons de le redouter, des attentats sont commis demain dans des villes européennes, dans des régions françaises.
Conserver son sang-froid, c'est d'abord savoir à qui nous avons à faire, bien cerner quel est cet ennemi qui pratique le terrorisme. Cet ennemi, ce sont les tenants de l'islamisme politique radical qui recourent à la violence pour imposer leurs vues. Comme l'a écrit Dominique Quinio dans la Croix, ce sont « ces hommes qui ont décidé que ceux qui ne pensent pas comme eux, ne vivent pas comme eux, ne croient pas comme eux, n'avaient plus leur place sur la terre ». Devant cet ennemi, les sociétés, les États ont le devoir de résister car il y va de leur existence même. Ils sont en situation de légitime défense. Et cela vaut aussi – et peut-être surtout – pour les sociétés musulmanes, pour les États islamiques. Car les premiers ennemis des djihadiste, leurs plus nombreuses victimes aussi (et de loin) ce sont les musulmans qui ne pensent pas comme eux – c'est-à-dire l'immense majorité des musulmans.
Appartenant à la branche majoritaire de l'islam, celle des sunnites, les djihadistes de Daech et d'autres organisations semblables considèrent les chiites et les autres minorités musulmanes comme des hérétiques, donc des ennemis. Mais, pour eux, les sunnites qui ne partagent pas exactement leur conception de l'islam, qui ne respectent pas ce qu'eux-mêmes considèrent comme la charia, la loi islamique, doivent également être combattus, ce qui signifie souvent massacrés.
Il importe donc pour nous, de ne pas assimiler djihadisme et islam, de ne pas confondre les islamistes radicaux violents avec l'ensemble des musulmans. . Ces derniers jours, en Europe – particulièrement en Grande-Bretagne et en France – mais aussi dans les pays musulmans, on a vu heureusement se multiplier les condamnations de Daech par des imams, des autorités religieuses diverses des intellectuels musulmans et la totalité des organisations représentatives de l' Islam de France pourtant habituellement très divisé. Des manifestations de musulmans contre les djihadistes ont été organisées à Paris et dans de nombreuses villes de France et d'Europe. Il n'est pas anodin de voir et d'entendre des responsables musulmans français condamner Daech et ses méthodes sanguinaires au nom des valeurs de la Républiques françaises dont ils se réclament.
On dira que cette réaction bienvenue du monde musulman est un peu tardive, qu'elle a été longue à s'exprimer alors que la montée de l'islamisme radical est maintenant une vieille histoire – même si, avec Daech, sa violence sanglante semble atteindre un paroxysme. Ce n'est pas faux. L'une des explications à cela est que, depuis des décennies, beaucoup de musulmans ont vu dans le mouvement islamiste, une légitime revanche contre l'Occident qui, depuis trois siècles, a si fortement, et parfois si cruellement, humilié l'ensemble du monde islamique. Ce sentiment est particulièrement fort chez des musulmans des banlieues déshéritées, nés en France et donc Français depuis toujours, voire depuis deux ou trois générations et qui ne comprennent pas pourquoi ils sont toujours considérés, de fait, comme des citoyens de seconde zone. Mais aujourd'hui, dans leur conscience d'êtres humains et aussi de musulmans, beaucoup d'entre eux sont profondément révoltés par la cruauté pratiquée par Daech, le prétendu État islamique. Ils se sentent profondément étrangers à cette conception de l'islam qui d'ailleurs, à leurs yeux, est contraire au véritable islam.
Évoquant le comportement des djihadistes de Daech, le Père Samir Khalil Samir, jésuite égyptien affirme lui aussi : « leur violence (décapitations, crucifictions, exécutions de masse, vols, extorsions, séquestrations) n'a rien à voir avec l »islam. Dans la tradition islamique, ces actes sanguinaires n'existent pas ». Cependant, ce grand islamologue, écrit également : « Le fondamentalisme, la violence, l'intolérance présents dans le Coran ne justifient pas la cruauté de l'Armée islamique, mais constituent le terreau favorable dans lequel croît la violence ». Spécialiste du dialogue interreligieux et interculturel, Samir Khalil Samir enseigne à l'Université Saint-Joseph, de Beyrouth, mais aussi, chaque année, en Allemagne et à Rome. Il a été l'un des principaux rédacteurs du document du synode de Rome sur les Églises orientales. Il participe régulièrement aux sessions de formation du réseau « Chrétiens de la Méditerranée ». Je ne peux que conseiller à tous ceux qui veulent dépasser clichés et préjugés sur ces questions cruciales, de lire intégralement l'article qu'il a publié le 29 août sur le site de l'agence Asianews et dont on trouve la traduction française dans la Documentation catholique de septembre. Titre : « L'islam à l'épreuve: cruauté et barbarie du califat ».
Dans cet article, l'éminent jésuite critique sévèrement l'éducation islamique pratiquée aujourd'hui au Proche-Orient dans laquelle il décèle une démission de l'esprit critique, de la conscience personnelle, face à l'autorité. Une autorité qui pratique trop souvent la confusion entre les domaines éthique, politique et juridique. Il incite vivement intellectuels et responsables musulmans à repenser l'islam pour l'adapter à l'homme moderne. Selon le P. Samir Khalil Samir, cette exigence ne concerne pas la seule religion musulmane. « Chaque religion doit être repensée pour le temps présent écrit-il. Mais cela ne peut se faire qu'en s'interrogeant sur les « objectifs « de la loi, en gardant saufs ces objectifs, mais en modifiant les moyens quand ils sont dépassés. En un certain sens, cette dialectique entre les objectifs et la loi est similaire à la dialectique paulinienne sur la lettre et l'esprit : « La Lettre tue, mais l'Esprit donne la vie » (2Co 2, 3-6). Le P. Samir estime que pour faire ce pas en avant un dialogue entre intellectuels de diverses religions est nécessaire ».
Ce que nous disent un Samir Khalil Samir, mais aussi nombre de spécialistes de l'islam et même d'intellectuels musulmans (surtout ceux qui vivent en Occident) ne nous encourage certes pas à faire de l'angélisme en abordant l'islam. Un dialogue respectueux mais vrai avec des partenaires musulmans est un dialogue exigeant pour chacun. Ce n'est certainement pas « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil »
Mais tout cela doit nous garder de voir dans le combat contre Daech et ses émules, le choc des civilisations prophétisé en 1993 par l'Américain Samuel Huntington. Un choc souhaité par les extrémistes de toutes les cultures et de toutes les religions avec l'espoir secret d'anéantir ceux qu'ils considèrent comme leur ennemi. Aujourd'hui c'est d'abord entre l'Islam et l'Occident qu'un tel choc semble pouvoir se produire. Les islamistes radicaux en rêvent, de même que l'extrême-droite américaine – dont la droite dite « chrétienne » – qui a entraîné George W. Bush dans la sinistre aventure irakienne fondée sur le mensonge et dont on paye aujourd'hui le prix. Cette offensive de 2003 en Irak a engendré au Proche-Orient ce chaos dans lequel l'islamisme radical prospère et qui menace la paix et l'équilibre du monde.
Barack Obama vient heureusement de dénoncer à la tribune de l'ONU « toute suggestion d'un choc des civilisations ». En France, les principaux responsables politiques de droite et de gauche sont sur la même position. Les choses sont moins claires au niveau de l'opinion. Une hostilité latente aux musulmans se développe depuis plusieurs années. Elle se colore d'un racisme anti-arabe souvent virulent, nourri d'une nostalgie de l'Algérie française qui, pourtant n'existe plus depuis 52 ans. Dans une région où le Front national fait quelques-une de ses meilleurs scores, je constate depuis des mois que ces sentiments s'expriment de manière de plus en plus décomplexée dans les milieux populaires. Pour désigner musulmans et/ou Arabes, on entend des mots qui avaient fait florès du temps de la guerre d'Algérie mais qui semblaient plus ou moins disparus depuis. Et l'on confond volontiers dans le propos les islamistes radicaux et tous les musulmans. Ceux qui affirment ne pas être racistes masquent volontiers leur hostilité aux tenants d l'islam par la défense de l'identité française. Mais c'est sur Internet que les sentiments racistes et islamophobes s'expriment avec le plus de virulence, de manière parfois, à donner la nausée. Cela rappelle les torrents de haine antisémite qui déferlaient sous l'Occupation mais aussi dans les décennies précédentes. Musulmans et juifs de France devraient y songer quand ils cherchent à transposer entre leurs communautés respectives le conflit israélo-palestinien.
En tout cas, s'il est des Français qui devraient résister à l'islamophobie et à la tentation du « choc des civilisations », ce sont bien les chrétiens. Nous ne pouvons oublier que les musulmans sont nos frères, que Jésus est mort et ressuscité pour eux comme pour tous les êtres humain et que nous adorons tous le Dieu unique, donc le même Dieu, n'en déplaise aux extrémistes musulmans qui refusent aux chrétiens d'Orient le droit d'employer le mot « Allah » pour dire Dieu dans leur langue arabe… comme ils le font depuis la nuit des temps.
Oui Allah est grand, comme le répètent nos frères musulmans. Mais Allah est Père aussi, nous a révélé Jésus. Je ne l'ai jamais ressenti aussi fortement que ces dernières années, lorsqu'à la fin de rencontres ou de célébrations auxquelles je participais, des chrétiens d'Orient, des prêtres arabes ou vivant dans des pays arabes ont récité ou chanté le Notre Père en arabe.
Envoyé de mon Ipad
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